Volcan / Une histoire du clitoris est un spectacle hybride, entre la conférence et l’objet artistique abstrait. Discours informatifs et monologues intimes s’entremêlent, agrémentés de scènes purement gestuelles semi-dansées et de chansons.
Un programme ambitieux, donc, concentré sur un sujet non moins ambitieux : le clitoris, organe
Là où ça coince, c’est que le spectacle n’est que sur ce ton, y compris dans la partie documentaire. Les comédien.ne.s vont de l’Antiquité au Moyen-âge, en passant par les XIX
eet XX
esiècles, les hystériques et les premiers discours de la psychanalyse. L’excision est même très brièvement évoquée dans une scène à la fin du spectacle, dans laquelle un texte poétique parle de la mère de la mère de la mère et de clitoris coupé. Or, aucun de ces discours n’est contextualisé.
Si parfois on a l’impression que l’ironie est utilisée pour critiquer une anecdote, on n’en est jamais vraiment certain.e.s. Pour exemple, une scène sur les hystériques dans laquelle les comédien.ne.s expliquent brièvement qu’à une certaine époque, on pensait que l’hystérie venait d’un utérus vide. Par conséquent, les crises étaient soignées en stimulant le clitoris des femmes. C’est ainsi qu’est né le vibromasseur : les praticiens épuisés de masturber manuellement leurs patientes ont inventé cet objet bien pratique. Tout cela est livré sur le ton de l’humour potache.
Malaise : la situation de l’époque n’avait en effet rien de drôle ou de léger, et le terme qui s’applique rétrospectivement sur ces pratiques médicales est bien « viol », ou du moins « agression sexuelle aggravée ». Mais juste après, les comédien.ne.s utilisent très clairement l’ironie : revêtant le ton de doctes savant.e.s, illes
1posent des questions à des femmes dans le public.
Quelles que soient les réponses, ces femmes sont estampillées « hystériques ». C’est une façon de remettre en perspective les discours du XIX e et d’en livrer une critique, mettant en avant leur absurdité. Mais est-ce que cela implique que le passage précédent était aussi ironique ? Est-ce qu’il a été traité avec drôlerie de façon à en révéler la violence ? Si c’est le cas, ça manque de clarté et l’effet est par conséquent manqué.
L’ensemble des textes informatifs est pareillement livré sans points de vue et sans critiques, dépolitisant ce sujet qui pourtant est au cœur des thématiques féministes. Seul un bref passage amorce une analyse politique : lorsqu’illes expliquent que les politiques natalistes ont condamné la masturbation car la semence était trop précieuse pour la gaspiller. Mais sachant que Foucault développe une théorie sur le sujet en trois tomes 2 , les deux minutes d’explication sont vraiment très maigres pour comprendre le contexte et ses conséquences possibles sur la sexualité des individus.
L’autre partie des textes se place d’un point de vue purement subjectif et se compose d’histoires intimes et de ressentis, utilisant les corps et la musique pour souligner la sensualité du sujet. Sensualité est bien le mot car ici, il n’y aura pas d’explosions purement sexuelles ni de récits qui ne lient pas sexualité et communion des êtres. Et surtout, il n’y aura aucun récit qui ne soit pas hétéro-centré.
En effet, si la masturbation féminine est abordée brièvement, les sexualités lesbiennes sont effacées des possibilités. Le spectacle, de plus, s’ouvre avec cette phrase : « Le clitoris, cette partie qui nous fait femme. » Ah ? Dommage pour les transgenres, genres fluides et intersexes : comme l’occasion fait le larron, le clitoris fait la Femme. Pourtant, Simone de Beauvoir écrivait déjà en 1949 : « on ne naît pas femme, on le devient 3 . » Elle exprimait par cette idée que la féminité n’était pas inhérente à une réalité biologique mais relevait bien d’une construction sociale. De mon point de vue, et du point de vue du féminisme héritier de Simone de Beauvoir, le clitoris ne fait donc pas plus la femme que les yeux bleus ne font la douceur.
Pourtant, le spectacle possède un final qui, au contraire, semble dénoncer cette catégorisation homme versus femme et nous emmener dans des discours plus libres. Les deux comédiennes et le comédien raconte une parabole : à l’aube de l’humanité, les lapins, les volcans, les trèfles, tout était sexué. Puis est venu la fable d’Adam et Ève, ce que j’interprète par la différenciation genrée et la pénétration comme norme sexuelle, et le clitoris a été oublié. Tout en nous racontant cette histoire, ils jouent avec des mandarines, délicieuses métaphores d’une vulve juteuse, les mordent, se les échangent avec malice et complicité. Une utopie de sexualité libre de différenciation ? Peut-être, mais si c’est le cas, cela va malheureusement à l’encontre de toutes les anecdotes livrées plus haut.
Au final, le spectacle se perd à force de vouloir être léger. Le texte, le jeu, la mise en scène : tout est pensé pour être distrayant, drôle, mignon ou poétique. Et, je l’accorde, le spectacle est distrayant, drôle, mignon et poétique. Mais alors, pourquoi parler du clitoris, sujet potentiellement militant, politique, explosif, cru, violent, bandant, rageant ? L’histoire du clitoris n’est pas composée de moments de grâce, elle est violente, tragique et injuste, parce que l’histoire de celleux 4 qui ont eu un clitoris l’a été. L’effacement de cet organe des ouvrages d’anatomie ne relève pas seulement de l’anecdote mais bien d’un programme politique qui efface le désir et le plaisir féminins . Pareillement, l’excision est un sujet très lourd et très complexe, qu’on ne peut pas seulement évoquer poétiquement dans une scène qui dure deux minutes et qui n’explique rien du tout. À force d’éviter tout parti pris et tout mot qui fâche, on a l’impression que le spectacle parle des plantes d’agrément ou de thalassothérapie. Du lisse et du doux, de l’effleurement de surface. Une manière certainement agréable de découvrir le clitoris au sens propre, mais insuffisante pour un spectacle d’une heure sur la question.