critique &
création culturelle
Winding Whispers de Condore
Instantanés clair-obscur

La Liégeoise Condore, alias Leticia Collet, nous a livré fin avril son premier album Winding Whispers , sur le label JauneOrange. Arpentage d’une collection de comptines existentialistes habitées mais pleines de grâce .

Si Winding Whispers est le premier album composé de bout en bout par Leticia Collet, aux manettes de Condore, la musicienne est loin d’être une nouvelle venue dans la scène musicale belge. Derrière ce nom, on retrouve en effet la claviériste-pianiste (de formation classique) liégeoise qui, depuis environ une dizaine année, soutient harmonieusement de ses mélodies et accords diverses formations belges telles que Dan San, Noa Moon, ou encore plus récemment un certain Antoine Wielemans, leader des Girls in Hawaii. Une présence féminine devenue ainsi plutôt familière au sein du paysage musical belge, bien qu’aussi intrigante que charismatique, avec un jeu très reconnaissable dont on percevait déjà les élans cinématographiques et « conteurs » dans la folk féérique et intimiste du groupe Dan San.

Découverte pour ma part lors d’un concert de ce dernier il y a des années, c’est ce jeu grâcieux et onirique (que l’on retrouve bien dans Condore) qui m’a bien vite conquise, et qui m’inspire depuis aussi musicalement. La musicienne incarnait une figure féminine musicale nécessaire et rafraîchissante dans un milieu et un temps où cela se faisait encore plus rare : il y a dix ans, rares étaient les musiciennes dans la scène indie rock belge. Le nom Condore, déclinaison de « condor  »1 au féminin, est d’ailleurs autant un clin d’œil à cette rareté qu’à ses origines chiliennes, dont l’imagerie parsème tel un hommage tout son univers, depuis les illustrations jusqu’aux clips (voir les vidéos de « Lootus » et « Jaws » plus loin dans l’article).

Passée ma joie de la voir lancer son projet solo, et après l’avoir attendu avec impatience, je tenais donc vraiment à parler du premier album qui me semblait déjà prometteur via l’univers intriguant, rêveur et torturé esquissé dès les prémisses du projet. On a pu suivre, notamment pendant le confinement, Leticia partageant sur les réseaux des bribes de dessins illustrant ses humeurs, textes, moments musicaux home studio et behind the scenes , comme une sorte de journal intime mis en ligne. Également artiste plasticienne, Leticia a d’ailleurs concocté la pochette du disque et ses illustrations (tout comme le merchandising fait maison) en vis-à-vis de bouts de paroles et de réflexions, d’invitations à s’immerger dans son univers.

Sometimes, emotions are getting to me hard

Sometimes, my own words are falling apart

So I choose to chase ghosts from my mind

And let them go through some musical

winding whispers for a while

Condore a vu le jour en 2017, lors d’enregistrements avec ses comparses de Dan San. Leticia a alors commencé à élaborer de son côté des petites demos instrumentales qui, peu à peu, prendraient chair en des morceaux lofi pop mais intimistes, portés par des arpèges au piano et harmonies vocales, au centre du projet. Des singles tels que le délicat mais habité « Lootus » ou encore le tourmenté « Boring » (« hymne des insomniaques »), u n EP intitulé « Jaws » (sorti en 2019) et des concerts ont suivi, ce qui a permis à Leticia d’affirmer son univers musical et artistique tout en douceur.

Le premier titre, intitulé simplement « A Song », résonne tel un générique d’ouverture de film en noir et blanc aux accents fantastiques. Sur des notes de piano contemplatives et mélancoliques, les harmonies vocales célestes entrent ensuite en scène. La couleur est donnée, on voyagera dans un ailleurs et un autre temps, un univers parallèle, ou peut-être serait-ce l’univers intérieur tortueux de la chanteuse, labyrinthe enchanté entre magique et macabre, parcouru de surprises, de peurs personnifiées et de monstres à l’affût.

De tableau en tableau, la musicienne nous fait avancer sinueusement dans son monde et dans sa tête, où tout n’est pas si tranquille, tel ce chant murmuré nerveusement mais éthéré, presque ensorcelant, et porté par des harmonies et des chœurs rêveurs. Un univers qui gravite principalement autour de son instrument de toujours, le piano droit, sur lequel ont d’abord été enregistrés les morceaux. Des synthés vintage et la harpe font aussi leur apparition en ajoutant des touches délicates et étranges à l’album. Elle offre ainsi bien plus qu’un ensemble de simples « ballades au piano ».

Le morceau intitulé « Mpx16 », petite trêve aux morceaux plus torturés qui se succèdent, est un hommage qui fait sourire au contrôleur midi du même nom, utilisé pour enregistrer et jouer de la musique sur ordinateur : « Mpx16 recorder acts as a midi controler ». On pense au groupe Grandaddy qui fait aussi entrer les machines avec une pointe d’émotion dans des chansons lofi, entre bidouillages électro et envolées atmosphériques. Un morceau dont le mystère reste suspendu (son décalage en fait un de mes favoris) et qui transitionne vers « Jaws » (requins), créature, « monstre » récurrent de l’univers de Leticia, personnifiant ses peurs.

Beware of the jaws

They don’t seem very nice

But maybe they are fake

La chanteuse assume une certaine simplicité dans ses textes, sur lesquels elle aime garder le mystère. Un côté direct qui participe à leur puissance, comme dans le titre « Brother »  :

Don’t return to silence

Even if your voice is making strange noises when you’re moving all around

And even if you’re scared of night and waiting for the sunrise

Don’t worry it will be there

En onze morceaux, Condore nous partage des expériences de vie, avec tout ce qu’elles peuvent contenir d’ombres et de lumière. Des tas d’images flottent en tête, comme des mini films expressionnistes et gothiques au sens originel du terme, où les mélodies et chœurs frisant le sublime ne sont jamais bien loin pour nous rassurer. Comme si les personnages de films d’Alfred Hitchcock, Tim Burton (dont le compositeur Danny Elfman est une influence reconnue de la chanteuse), ou encore Guillermo Del Toro nous murmuraient leurs tourments à l’oreille. Entre lofi folk, dream pop et néo-classique, Winding Whispers est un album superbement ciselé qui touche par son authenticité. De quoi faire trépigner d’impatience face à ce que nous réserve la musicienne pour la suite.

En live, la chanteuse est accompagnée de deux autres musiciennes claviéristes qui par leurs chœurs complètent ses harmonies, ainsi que d’un batteur. Une expérience musicale envoûtante à ne pas manquer le 19 juin à la Fête de la Musique de Visé et Izel.

Même rédacteur·ice :

Winding Whispers

par Condore
JauneOrange, 2022
36min