La série Years and Years nous fait voyager au fil des années 2020 en conjuguant les progrès technologiques et la surmédiatisation pour nous révéler une version imparfaite et pourtant réaliste du futur proche de nos sociétés, en se centrant sur le modèle britannique.
À mes yeux (et sûrement aux yeux de beaucoup d’autres), le Brexit prend depuis longtemps l’allure d’un cauchemar interminable. Deal ? No deal ? Les conséquences dans les deux cas ? Bref, j’ai l’impression d’être soumis quotidiennement aux spéculations médiaco-politiques quant à l’avenir de l’Europe, voire du monde. Lorsqu’on m’a recommandé la série Years and Years , j’ai été évidemment très vite tenté de voir ce à quoi cela pourrait ressembler. Avant la fin de la bande-annonce, la série était parachutée en haut de ma liste « to watch ». Six épisodes plus tard, me voilà la tête remplie de réflexions que je ne peux pas m’empêcher de partager. Ce qui constitue déjà un succès en soi.
Years and Years est la dernière création du réalisateur britannique Russell T. Davies. Cette dystopie en six épisodes présente les travers politiques, économiques, médiatiques, technologiques et sociaux de la société anglaise au sortir d’un Brexit qui semble s’être conclu pour le moins sur un no deal. L’histoire s’articule autour des membres de la famille Lyons vivant à Manchester. La fratrie de deux frères et deux sœurs avec leur famille respective nous offre une immersion dans le quotidien d’une Grande-Bretagne plus que jamais insulaire, entendez par là isolée.
Il y a beaucoup de choses à dire sur la série, je vais donc commencer par le début : le casting. Mené notamment par Emma Thomson dans le rôle de Vivienne Rook, une entrepreneuse au franc-parler incisif et controversé se lançant en politique. Ultra médiatisée et constamment armée d’une punchline, on suit son ascension au pouvoir tout au long de la série. Le ton est tout de suite donné dans la séquence d’entrée de l’épisode 1 : Vivienne Rook annonce en direct sur un plateau de télévision qu’elle n’en a rien à foutre du conflit israélo-palestinien :
I suppose when it comes to Israël and Palestine, I don’t give a fuck !
Ce personnage représente probablement tout ce qu’il y a de plus détestable en politique. À savoir la promotion d’un discours populiste et discriminatoire destiné à planter un sentiment de peur au plus profond des électeurs. Le tout basé sur de fausses informations, des chiffres non sourcés et erronés, soutenus par une surmédiatisation au profit de la soi-disant information du public. Cela vous rappelle quelqu’un ? Moi, oui ! Si la psychologie et l’évolution du personnage de Vivienne Rook est si crédible, on le doit notamment à l’incroyable prestation d’Emma Thomson. Elle incarne son personnage avec brio au point que le spectateur ressente une réelle aversion pour la personne. Les autres membres du casting ne sont pas en reste. Les personnages sont bien travaillés et l’interprétation des acteurs principaux est juste et convaincante. Une grande surprise donc, alors que je ne connaissais pourtant aucun.e des acteurs.rices, hormis Rory Kinnear que j’avais découvert brièvement dans un épisode de Black Mirror .
Rory Kinnear, Stephen dans Years and Years , n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre les deux séries d’anticipation qui abordent les dérives des nouvelles technologies. À la différence près que Black Mirror approche le sujet frontalement alors que Years and Years l’évoque plus ou moins subtilement. En effet, les progrès technologiques prennent une place plutôt naturelle dans l’histoire comme dans l’image, parfois même sans qu’ils ne soient mentionnés. Certaines de ces nouvelles technologies sont de simples extrapolations de ce qui existe déjà, notamment un casque permettant de projeter des filtres Snapchat ou Instagram devant le visage de la personne qui le porte. D’autres sont de pures inventions, ce qui ne les rend pas pour autant irréalisables. Parmi elles, certaines sont inquiétantes, comme les plateaux repas auto-chauffants pour les cantines scolaires. D’autres sont imaginées avec ironie, notamment le Blink , dispositif permettant de neutraliser tous les appareils connectés à 30 mètres à la ronde. Technologie contre la technologie pour empêcher nos enfants d’avoir accès à la pornographie. Le simple fait de suggérer certaines de ces nouvelles technologies suffit amplement à nous faire plonger dans une version 3.0 du monde connecté que nous connaissons aujourd’hui. Et je dois avouer que c’est parfois effrayant de réalisme. De façon plus frontale, Russell T. Davies met en scène la génération alpha1 au travers d’un personnage phare : Bethany Lyons (Lydia West). Fille aînée de Stephen et Celeste Bisme-Lyons (T’Nia Miller), elle rêve de devenir transhumaine, c’est-à-dire d’uploader toute sa mémoire dans le cloud et de vivre pour toujours en tant que données. Je suis personnellement de la génération Y et cela me rappelle vaguement un épisode de Friends 2 durant lequel Ross (David Schwimmer) raconte que d’ici 2030, il serait possible de télécharger ses pensées et ses souvenirs et de vivre éternellement sous la forme d’une machine. Ce qui à l’époque passait pour de la science-fiction ne l’est plus tellement aujourd’hui. La jeune Bethany est tellement fascinée par les nouvelles technologies qu’elle n’hésite pas à intégrer un téléphone dans sa main sous la forme d’implants sous-cutanés, le tout sous le regard absent de parents trop absorbés par leurs problèmes du quotidien.
Parallèlement aux nouvelles technologies, les médias occupent une place prédominante dans la série. Si vous pensiez être soumis à trop d’informations, attendez de voir ce que Russell T. Davies prévoit pour nous dans les prochaines années. Dans Years and Years , les médias deviennent un personnage à part entière dont le rôle se décline en deux aspects. Tout d’abord, celui de l’adjuvant de la communication propagandiste de Vivienne Rook. Conjointement, il sert à communiquer aux spectateurs (souvent de façon elliptique) l’évolution de la société d’abord au niveau politique avec la percée du populisme dans plusieurs pays européens par exemple. Ensuite économique avec notamment la faillite financière de la Hongrie ou la crise qui touche le secteur pharmaceutique. Sans oublier évidemment l’environnement avec des infos affolantes, telles que la disparition en Grande-Bretagne de 50% des oiseaux due à la disparition de 80% des insectes ou encore une suite de 80 jours de pluie. À rajouter que le traitement sonore lors de ces zappings bouillonnants de mauvaises nouvelles accentue leur effet démoralisant au point d’éradiquer chez le spectateur toute forme d’optimisme quant à la survie de notre espèce. Je vous rassure au risque de me répéter : la série mène plus à la réflexion qu’à l’envie de se pendre. Outre son rôle informatif, le personnage Médias permet également d’introduire des thématiques qui font écho dans l’arc narratif des personnages principaux. L’information médiatisée impacte directement et concrètement les personnages. Comme la fille de Stephen et Celeste Lyons, Ruby (Jade Alleyne) souffrant d’épilepsie et qui doit attendre six semaines pour avoir du Clobazam, un médicament pourtant courant.
Si la série fait preuve de beaucoup de créativité et caresse des thématiques intéressantes, elle pêche malheureusement à certains endroits. Tout d’abord, en dehors de quelques moments clés, elle repose essentiellement sur une réalisation sobre et peu innovante. À noter tout de même les flashforwards séquençant brillamment la temporalité. Ou encore la scène d’espionnage exaltante3 menée par Bethany qui nous plonge dans une version moderne de Minority Report .
Un autre bémol, et pas des moindres : celui de l’issue finale. Pas d’inquiétude, pas de spoiler en vue. J’ai beau le tourner de toutes les manières, je reste déçu par cette fin pour le moins bâclée. Entre les choix trop évidents voire téléphonés, l’héroïsation de certains personnages et la rupture de logique chez d’autres qui vient briser toute l’empathie brillamment construite depuis le début, la série prend une tournure de saga familiale hollywoodienne frappée d’un insipide happy end . Dans l’ensemble, Russell T. Davies ne livre malheureusement pas une réalisation à la hauteur de son ambition ou du moins des attentes qu’il a semées en nous dès le premier épisode.
Il serait maladroit de faire une critique de Years and Years sans s’arrêter un instant sur l’un de ses thèmes principaux : la migration. Son traitement très affectueux au travers de la relation amoureuse qui unit Daniel Lyons (Russell Tovey) et Viktor Goraya (Maxim Baldry) réussit le pari de la sensibilisation. Cet amour inconditionnel entre les deux personnages érige un pont d’empathie entre le spectateur et le couple. Il est non seulement question d’amour mais également de liberté d’aimer celui ou celle qu’on veut à l’endroit que l’on désire. À plus forte raison, Russell T. Davies fait le choix du réalisme et nous confronte à l’effroyable expérience vécue par des milliers de migrants tous les jours. Réalisme encensé par une vision dégradante et déshumanisante de la société incarnée par Vivienne Rook et sa politique migratoire. C’est sans doute la trame narrative la plus engageante et la plus touchante pour le spectateur.
Il y aurait encore tellement de belles choses à dire sur la série. La mixité culturelle rafraîchissante à l’écran au sein de la famille Lyons, la dichotomie générationnelle criante de vérité, l’amour, la famille, l’espoir, la liberté, etc. Mais on ne peut pas tout dire sinon il n’y aurait plus rien à voir. Retenez peut-être que c’est à cet endroit précis que le paradoxe se crée : la fin est peut-être décevante mais la proposition n’en reste pas moins alléchante.