critique &
création culturelle
Valeria
Trentenaire, espagnole, autrice… et heureuse ?

La série espagnole Valeria cartonne sur Netflix depuis mai 2020 ! Basée sur les romans d’Elisabeth Benavent, l’histoire de Valeria et de ses trois amies nous emmène avec sincérité et humour dans leur quotidien madrilène. La série est drôle, piquante, intéressante et les personnages sont attachants.

En los Zapatos de Valeria ( Dans les pas de Valeria ) est le premier tome d’une saga de quatre romans écrits par Elisabet Benavent qu’elle a auto-édité sur Amazon avant de remporter un large succès… Au point d’être adaptée en série. Deux saisons sont déjà parues sur Netflix et la plateforme en annonce une troisième déjà très attendue par le public.

Et pour cause : Valeria est une jeune femme de 27 ans un peu comme toi, comme moi, comme nous toutes. Valeria rêve de vivre de sa passion : l’écriture. Convaincue d’avoir des histoires à raconter, elle s’accroche à son ambition et lâche son job alimentaire pour s’y consacrer. Pourtant, malgré sa détermination, Valeria navigue entre le manque d’inspiration, la pression financière et le monde très sélect de la publication. Ce qui la mène par conséquent à des grands moments de frustrations, de doutes, et au fameux syndrome de l’imposteur : est-elle à sa place ? Est-elle légitime ?

De son côté, son compagnon photographe tente lui aussi de faire son chemin dans le milieu artistique. Après de longues années de relation, leur couple bat de l’aile et Valeria essaye de décoder ses émotions, ses pensées et ses questions. Mais elle n’est pas seule pour y répondre puisqu’elle est entourée de trois amies avec qui elle forme une bande de copines solide. Carmen, légèrement névrosée, assure un job dans la communication et déteste son patron ; Nerea mène une vie bien rangée suivant les traces de ses parents dans leurs bureaux d’avocats et Lola, interprète, est empêtrée dans un lien à sa mère compliqué et dans une relation avec un homme marié.

Derrière la bande de femmes légères et frivoles, une jolie sororité

Le synopsis est simple et peut sembler léger. Pourtant, on se laisse surprendre par l’envie d’y revenir. Alors comment expliquer cette soif d’enchainer les épisodes les uns à la suite des autres ? Sans doute parce que cette fiction est proche de vécus réels. Et l’autrice Elisabet Benavent le dit clairement : elle s’est inspirée de ses copines pour écrire les anecdotes des personnages et de sa propre histoire pour créer Valeria. Comme l’héroïne, Elisabet Benavent avait la petite trentaine quand elle s’est mise à écrire et le syndrome de l’usurpatrice ou la pression d’être une femme accomplie à 30 ans, elle connait !
Mais si la série remporte un tel succès c’est surtout parce qu'elle dépasse la superficialité et les clichés sur la frivolité des discussions entre femmes auxquels on pourrait s’attendre en s’attaquant à une bande de filles. Il devient alors très facile de se reconnaitre en elles. Nous les voyons par exemple manger (vraiment !) ou se masturber, ce qui est assez rare pour ne pas le souligner.

Alors certes, elles brunchent en commentant leurs tenues, mais elles rêvent plus de se réaliser que de l’homme idéal. Nous rentrons également dans la profondeur de leurs émotions. Les quatre amies se confient, abordent des sujets importants les concernant et elles prennent le temps de s’écouter.
De plus, le temps est relativement « juste » dans le sens où leurs difficultés, leurs doutes et leurs questions ne se résolvent pas en un épisode suite à une bonne session shopping. Nous plongeons par exemple dans les paradoxes et ambivalences de Valeria quant à son couple et dans la complexité des émotions que suscitent ses choix professionnels.

Par ailleurs, ces trentenaires sont bien dans leurs corps et n’en font pas un sujet. Avec leur fabuleux franc-parler, elles échangent sans tabou sur leur vie intime avec détails et humour. Et pas de hiérarchisation ou de rivalité entre elles comme on a l’habitude de voir sur les écrans ! Juste une grande sororité sincère au sein de laquelle elles voguent entre l’envie d’être seules mais entourées, d’être présentes pour l’autre alors qu’elles ne sont pas d’accord ou de rester en lien malgré des chemins de vie différents.

Réussir sa vie à 30 ans, est-ce que ça signifie encore quelque chose ?

Même si Valeria occupe beaucoup de place à l’écran, les intrigues de ses amies sont intéressantes et actuelles. Nerea veut notamment s’émanciper de la route toute tracée qui lui était destinée, mais que faire si elle quitte cette carrière d’avocate ? Elle se pose aussi des questions sur son orientation sexuelle et s’investit dans une association féministe au sein de laquelle elle rencontre des femmes avec qui elle vivra des relations...

Les femmes évoluent et nous les regardons se déconstruire, se reconstruire et grandir à cet âge charnière des 30 ans. Une période merveilleuse mais parfois vertigineuse qui soulève des questions et les problématiques de notre époque. Ainsi, les prises de tête de Valeria résonnent avec les nôtres : les attentes et la pression d’être parents.es, d’avoir une vie stable, un couple durable, une vie professionnelle solide. Et puis l’envie de remettre toutes ces certitudes en questions. Ces femmes tentent d’articuler leurs envies et leurs besoins de sécurité dans ce moment où l’on peut « créer le monde » que nous avons envie d’avoir. Et la série nous embarque dans une vision enthousiasmante de la trentaine : nous ne sommes pas périmées, loin de là !

Malgré tout, quelques nuances

Évidemment, impossible de ne pas relever quelques points plus dérangeants de la série. Il est évident que ce sont majoritairement les femmes qui s’intéressent aux expériences et vécus féminins, la présence d’une réalisatrice derrière la série explique donc sans aucun doute l’envie de les mettre au-devant de la scène ce que nous apprécions. Mais Valeria nous fait parfois grincer des dents avec ses états d’âme et ses allers-retours avec son amant qu’elle pousse à bout de patience. Par ailleurs, alors qu’on est agréablement surpris de voir le tabou de la masturbation féminine se lever, les scènes de sexe avec leurs partenaires occupent beaucoup de place à l’écran et n’apportent pas de réel intérêt : pourquoi insister autant ? De plus, alors que l’on voit Nerea vivre ses premières relations homosexuelles, les scènes de sexes hétérosexuels restent majoritaires. D’ailleurs, nous regrettons le manque d’inclusivité du casting malgré leurs tentatives. Effectivement nous devons admettre que le frère de Lola est en chaise roulante, que Nerea met en avant la communauté gay, qu’une de ses amies n’a pas la taille 36 des corps des canons de beauté et qu’une autre personnage secondaire est trans et racisée. Mais la série reste principalement blanche, cisgenre, hétérosexuelle, valide avec des corps normés. Nous sommes donc partagés entre l’envie de souligner l’intention d’amener la diversité à l’image de notre société – il est indéniable que c’est agréable de voir nos séries évoluer. Mais on ne peut s’empêcher de sentir « l’effort » qu’il y a derrière. Dommage de ne pas avoir été jusqu’au bout de la démarche parce qu’ainsi l’inclusivité apparait comme une « prouesse ». De façon générale, qu’il s’agisse des thématiques abordées ou du casting, tout semble survolé. Nous saluons donc l’initiative mais celle-ci reflète le travail qu’il reste à faire.

Une série drôle, piquante et un peu déjantée

Certes, la série pourrait donc entrer encore plus en profondeur dans les problématiques abordées et dans le développement des personnages, mais Valeria n’en reste pas moins très agréable à regarder.
Nous nous réjouissons de retrouver des femmes autonomes qui essayent d’être honnêtes avec elles-mêmes et qui ont cette envie banale et ordinaire d’être différentes et spéciales.  Comme toi, moi, comme nous tous.tes.

Le tout avec une grande dose d’humour. Et double bonus : la série est décorée d’une bande originale très présente et bien fournie. Elle est variée, actuelle et bien choisie. Les morceaux sont principalement ceux de groupes hispanophones – ce qui change et nous plait – mais nous retrouvons aussi des artistes internationaux comme Billie Eilish ou Angèle pour ne citer qu’elles. Enfin, l’univers espagnol amène une ambiance différente des séries américaines. On déguste les expressions hispaniques loufoques et l’accent chaleureux, les soirées d’été, les ruelles de Madrid et les tapas en terrasse. Un vrai plaisir ! On a déjà hâte de découvrir la suite avec la saison 3 ! Et, pourquoi pas, rêver de voir les 4 amies vieillir pour enfin voir des femmes plus âgées à l’écran et évoluer avec elles à travers les étapes suivantes de la vie.

Valeria
Réalisé par María López Castaño
Avec Diana Gómez, Silma Lópe, Paula Malia, Teresa Riott, Maxi Iglesias, Ibrahim Al Sham Netflix, 2020-2021
2 saisons de 8 épisodes
37 à 46 minutes