critique &
création culturelle
American History X
Aux sources de la haine raciale

La haine trouble la vie ; l’amour la rend harmonieuse.
La haine obscurcit la vie ; l’amour la rend lumineuse.
Martin Luther King

La haine trouble la vie ; l’amour la rend harmonieuse.
La haine obscurcit la vie ; l’amour la rend lumineuse.
Martin Luther King

Réalisé par Tony Kaye, le film American History X explore différentes origines de la haine raciale dans l’Amérique de la fin du 20 e siècle. Après avoir prôné Hitler en tant que héros des droits civiques dans le cadre d’un devoir, Daniel Vinyard est contraint de suivre le cours d’histoire que son proviseur, Bob Swinny, décide de lui donner chaque jour : American History X . Comme ce dernier pense que tous les actes que commet alors l’étudiant sont conditionnés par son frère Derek, il choisit d’en faire le sujet d’un premier devoir. Daniel doit ainsi analyser et interpréter comment les événements ayant trait à l’incarcération de son frère « ont contribué à façonner [s]a vision actuelle concernant la vie dans l’Amérique contemporaine », mais aussi leur impact sur sa propre vie et sa famille.

Une éducation défaillante

Lorsque Derek évoque à son paternel l’une de ses lectures pour l’école, ce dernier s’insurge qu’on ne lui fasse pas découvrir les auteurs blancs habituels plutôt que des « bouquins de noirs ». Le racisme dont ce père témoigne en présence de ses fils s’accompagne même d’une remise en cause des revendications pour l’égalité entre, d’une part, les hommes de couleur noire et, d’autre part, ceux de race blanche.

Tiens, on vient d’embaucher deux noirs dans ma brigade. […] à la place de deux autres blancs qui en fait avaient mieux réussi au test. Tu trouves ça normal, hein ? Bon, bien sûr on est tous égaux maintenant, mais résultat y’a deux types choisis pour m’épauler qui ont une responsabilité énorme […] et qui ont uniquement eu ce boulot parce qu‟ils étaient noirs, pas parce qu‟ils étaient les meilleurs !

Le père de Dani ne réalise pas que la situation qu’il dénonce – favoriser des candidats noirs par rapport à leurs concurrents blancs – n’est qu’une manière de lutter contre les inégalités raciales dont souffrent les personnes de couleur noire sur le marché du travail. Au lieu d’en prendre conscience, il jette devant ses enfants un voile de suspicion sur les revendications pour l’égalité.

– L’Amérique, c’est le meilleur a le droit au boulot […] et toutes leurs conneries de revendications, ça pue. Je sais pas où ils veulent en venir, ça doit être une sorte de stratégie occulte, mais ça me paraît louche en tout cas. Tu comprends ce que je veux dire ?

– Je comprends oui, je sais pas, je voyais pas ça comme ça.

Il clôt son discours en discréditant Swinny auprès de Derek, allant jusqu’à qualifier les leçons du professeur de « conneries de nègre », et en incitant son fils à se méfier de ce qu’il entend par ces termes.

– Ce Swinny, quand il parle, il est tellement fort que t’es totalement fasciné par ce qu’il dit mais je sais pas, peut-être que parfois ce qu’il nous raconte, c’est…

– … c’est des conneries

– Ouais. Ouais peut-être.

– Eh ! Non non, c‟est des conneries de nègre . Tu comprends maintenant ?

– Ouais.

– Tu dois faire très attention avec ça.

– Je ferai attention, j‟ai compris ce que tu m’as dit oui.

Une mauvaise expérience personnelle

Suite à la mort de son père, tué par un dealer noir, Derek est complètement dominé par une rage qui l’aveugle. Son discours s’imprègne de propos racistes et l’amène à faire des communautés noire, hispanique et asiatique les boucs émissaires de problèmes rencontrés par les USA et liés non pas à la couleur de peau, mais bien à la pauvreté.

Les honnêtes travailleurs américains comme mon père se font tous éliminer par des parasites sociaux, les noirs, les basanés, les jaunes, tout ça… […] Tous les problèmes de ce pays sont d’origine raciste, pas seulement les meurtres : l’immigration, le sida, les dépenses sociales sont le problème de la communauté noire, de la communauté hispanique, de la communauté asiatique, ce n’est pas un problème blanc.

Le frère de Daniel tient des paroles sans nuances, considérant les autres races comme une masse d’individus qui immigreraient tous aux États-Unis non pas pour s’y intégrer, mais bien pour exploiter le pays et tirer sur ses pompiers. L’aveuglement de Derek est tel qu’il en viendra, des années plus tard et devant Daniel, à tenir pour responsable de la mort de son père un homme noir qui tentait de voler sa voiture, mais qui n’avait pas commis le crime reproché.

Mon père m’a donné cette bagnole espèce de sale esclave. T’as déjà buté un pompier, alors comme ça on débarque ici pour buter ma famille ?

Un certain contexte social

Lorsqu’il évoque le passé de son quartier, Venice, Daniel décrit l’endroit comme étant « hyper tranquille pour vivre ». Il ajoute cependant que c’est « petit à petit […] devenu l’enfer » suite à l’arrivée de gangs, composés d’hommes de couleur noire qui « font la loi ». C’est pour faire en sorte que les enfants blancs se sentent encore chez eux que Derek rejoint le gang de skinheads « Les disciples du Christ ». Manipulé par Cameron Alexander qui exploite sa rage aveuglante, le frère de Daniel a pour mission de recruter les jeunes qui en avaient marre de subir les coups des « gangs de noirs et de chicanos ». Afin de susciter haine et violence à l’encontre des immigrés, Derek pointe − en présence des potentielles recrues mais aussi de son cadet – les dépenses et le soutien que leur consacre l’État au détriment des Américains.

Cet État a dépensé 3 milliards de dollars l‟année dernière sur les fonds publics pour ces gens […] Au moins 400 millions de dollars pour foutre en prison toute une flopée d‟immigrés, de criminels […] Je vous parle de votre avenir et du mien, […] d’honnêtes, d‟authentiques travailleurs américains qui ne trouvent aucun travail et qui sont à la dérive parce que le gouvernement se préoccupe davantage des droits constitutionnels d‟un ramassis d’individus même pas citoyens de ce pays.

Le frère de Daniel exploite les frustrations de son public, qui se sent rejeté par la société et connaît la pauvreté, en les concentrant vers la cible facile que représentent les immigrés.

Sur la statue de la liberté, on lit « À moi les réprouvés, les affamés, les pauvres ». Mais c’est les Américains qui sont réprouvés, affamés et pauvres ! […] On perd notre droit à accomplir notre destinée […] pour qu’une bande d‟enfoirés d’étrangers viennent parasiter et exploiter notre pays.

Le poids des préjugés

Si Dani profère des propos racistes devant un membre du gang de Cameron qu’il avait rejoint, il montre malgré tout qu’il n’est pas encore totalement convaincu par « son propre » discours. En effet, il émet un doute quant à l’idée préconçue selon laquelle des individus qui ne sont pas blancs sont tous de mauvaises personnes.

Je hais tous ceux qui ne sont pas blancs et protestants […] parce qu’ils sont un fardeau pour l’avancement de la race blanche. Y’en a parmi eux qui doivent être bien, je suppose.

La réponse que donne le skinhead pour combattre le doute de Dani repose uniquement sur le préjugé en lui-même, qui ne saurait être efficace qu’en l’absence de sa confrontation au réel ou d‟un esprit critique. Cameron incite dès lors ses suiveurs à ne pas mettre cette opinion préconçue, présentée comme une certitude et censée légitimer son mouvement, à l’épreuve d’une réalité autrement plus contrastée.

Non y’a pas un de ces enfoirés qui est bien Dani, tu piges ? C’est rien que de la vermine tout ça. Souviens-toi de ce que Cameron dit : on veut pas les connaître, mais on sait que l’ennemi c’est ces fils de pute.

Face à la haine raciale, une issue ?

Si le film American History X met en lumière certaines des sources de la haine raciale, il évoque également des moyens de s’en débarrasser.

Pendant son séjour à la prison, Derek commence par traîner avec d’autres skinheads, qu’il considère comme des alliés l’aidant à survivre. Après une première année sans encombre, les choses finissent par se gâter. Lorsqu’il constate que le leader du groupe − Mitch − fait du business avec un Mexicain, le frère de Daniel s’en insurge auprès d’un autre membre, reprochant aux skinheads qu’il fréquente de ne pas agir en accord avec leur discours.

– C’est quoi ces conneries ? Pourquoi est-ce que quelqu‟un lui dit pas ce qu’il pense ? Il se fout de la gueule de qui ce mec-là ? […] Ça me gonfle tout ça les mecs, vous êtes très forts question discours mais alors quand il s’agit d’assurer y’a personne.

– Je crois que tu devrais lâcher du lest avec ton folklore à la noix. Nous aussi ça nous gonfle toutes tes conneries. Lève le pied.

Estimant que Mitch et ses autres alliés ne croient en rien, Derek décide de quitter le groupe. Suite à cela, il finit par sympathiser avec un détenu de couleur noire qu’il était forcé de côtoyer pour une corvée. Il apprécie son humour, débat avec lui autour d‟une passion commune… Cette relation lui permet également de prendre conscience de la partialité du système judiciaire, puisque l’homme a été victime d’une injustice en raison de sa couleur de peau.

– Attends une seconde. Ça tient pas debout. Non, tu t’es pas pris six ans pour avoir chouré une télé, arrête.

– J’entre dans la boutique, j’en ressors. L’officier de police attrape mon bras, la télé tombe sur son pied et le pète. Ils ont dit que je l’avais agressé avec la télé. Coups et blessures. Six ans.

Agressé par les skinheads en raison de son départ du groupe et de son amitié avec un homme noir, Derek ne sait plus où il en est lorsqu’il reçoit la visite de Swinny. Les paroles de son ancien professeur lui ouvrent les yeux quant au fait que la rage qu’il porte en lui l’aveugle. Toujours dans l’optique d’aider son ancien élève à changer, le visiteur lui remet aussi quelques livres.

En ce moment, ta rage est en train de te dévorer, elle est en train de t’aveugler, d’obscurcir ce qu’il y a dans ton cerveau.

Peu après sa sortie de prison, Derek transmettra à son cadet les leçons qu’il retire quant à son passé dans le gang de Cameron : une idéologie qui ne correspond pas à la réalité, qui le détruisait et à laquelle il avait adhéré parce qu’il était aveuglé par la haine.

– Je te plains, tu sais. Je suis désolé de ce qui t’est arrivé.

– Crois pas ça, bien au contraire, j’ai de la chance parce que tout ça c’est faux, totalement faux. C’était en train de me bouffer et ça allait me tuer. Ce que j’arrête pas de me demander, c’est comment j’ai pu avaler toutes ces conneries […] ? C’est seulement parce que j‟avais la haine. Et rien de ce que j’ai fait n’a réussi à me l’enlever, cette haine.

Ainsi, American History X montre qu’une rencontre avec un homme d’une autre « race » et que l’écoute d’un discours sensé peuvent détruire les préjugés racistes et la haine raciale. Au contact d’un homme de couleur noire qui devient son ami, le skinhead Derek apprend que la réalité est nuancée et non manichéenne. Grâce aux paroles et aux livres de son ancien professeur, il ouvre les yeux plus profondément encore.

Même rédacteur·ice :

American History X

Réalisé par Tony Kaye

Avec Edward Norton, Edward Furlong

États-Unis, 1998

119 minutes