Call Me by your Name , adaptation du roman d’André Aciman, tutoie les étoiles lors de cette saison des récompenses à Hollywood. Réalisé par Luca Guadagnino 1 , le film est une expérience immersive et sensuelle plongeant le spectateur dans le nord de l’Italie, durant l’été 1983.
Le long métrage de 130 minutes présente l’exploration sexuelle et sentimentale du jeune Elio Perlman, dix-sept ans, incarné par Timothée Chalamet, nommé pour l’Oscar du meilleur acteur et prochainement à l’affiche de Lady Bird . CMBYN pour les aficionados du roman, Call Me by your Name est une ode au passage à l’âge adulte. Outre le fait que le roman original soit un classique de la communauté LGBT anglophone dans la veine de Brokeback Moutain , Luca Guadagnino signe ici une déclaration d’amour aux premiers émois amoureux : Elio séduisant sa candide voisine Marzia (Esther Garrel, fille du réalisateur Philippe Garrel) et s’éprenant d’Oliver (Armie Hammer), doctorant américain d’une vingtaine d’années venu finir sa thèse auprès du père d’Elio, spécialiste de la civilisation gréco-romaine (Michael Stuhlbarg).
Le scénario, adapté par James Ivory, est un enchainement de tableaux du quotidien hédoniste d’Elio, vivant la dolce vita entre déjeuners gargantuesques dans un jardin luxuriant, balades à bicyclette, baignades, musique classique et soirées dansantes enfumées. Entre les nombreuses ellipses narratives qui ponctuent le film, James Ivory a mis un point d’honneur à conserver la majorité des dialogues originaux dans leur intégralité, même s’il a fait l’impasse sur le rôle de narrateur d’Elio dans le roman.
Une vision de la sexualité qui sort des standards hollywoodiens
CMBYN n’est ni un mélo larmoyant à la Nicholas Sparks, ni une comédie romantique à la Coup de foudre à Notting Hill , ni une version gay de Cinquante Nuances de Grey . Les scènes de sexe sont suggestives mais Guadagnino ne pose pas de regard lubrique sur ses acteurs. Au contraire, il les enveloppe d’une pudeur bienveillante, trouvant le juste équilibre entre l’animalité du désir, l’osmose des corps qui évoquent les statues antiques et l’intimité des protagonistes.
La complicité, la tendresse et la tension sexuelle entre Timothée Chalamet et Armie Hammer irradient la salle de cinéma et ramènent les spectateurs, l’estomac serré, à l’aube de la vingtaine.
La magie visuelle de Guadagnino se distingue également des clichés cinématographiques habituels avec la fameuse scène de la pêche ou peach scene qui affole la toile, il y présente les plaisirs solitaires de manière, disons « organique ».
Un discours sur la tolérance et l’importance de vivre et de ressentir
Au contraire de la plupart des films relatant la romance entre deux personnes de même sexe, nous échappons ici à l’éternel scénario shakespearien : le seul antagonisme présent est l’écoulement du temps et l’approche de l’automne, synonyme de séparation entre les deux amants.
Le monologue de Michael Stuhlbarg à Elio délivre un message sur l’acceptation de la douleur d’un chagrin d’amour et sur l’importance de chérir les relations avec les personnes que l’on aime. Chaque spectateur, quels que soient son genre et son orientation sexuelle, peut s’identifier aux personnages puisque Call Me by your Name n’est pas particulièrement un film gay mais un film sur cette valeur universelle qu’est l’Amour avec un grand A.
Entre finesse et confusion
Tourné avec seulement une lentille de caméra, le spectateur est un acteur à part entière, assistant, éberlué, à la manière d’un voyeur, à la fulgurance et l’impulsivité du désir d’Elio. La photographie est particulièrement réussie, n’optant jamais pour l’évidence et redéfinissant les codes du genre.
Le réalisateur présente donc la psychologie des personnages avec beaucoup de délicatesse, même si Guadagnino aurait pu, selon moi, davantage jouer la carte de la langueur et de la longueur des regards. Par contre, la présence de clichés occidentaux sur les italiens vient ternir la potentielle perfection du film (incompréhensible, quand on sait que le réalisateur lui-même est de nationalité italienne).
En plus d’un extrait de rêve superposé d’un filtre rouge inactinique injustifié, le polyglottisme du film est quelque peu dérangeant, les acteurs jonglant entre l’anglais, l’italien et le français dans la version originale.
Notons que le film fait polémique de par la différence d’âge entre les deux amants et relance le débat sur la majorité sexuelle et la notion de consentement.
Émerveillement et éveil sensoriel
Call Me by your Name fait appel à nos cinq sens : stridulations de criquets, clapotis de l’eau, monuments italiens typiques, chair des fruits du verger, corps qui s’effleurent sublimés par la lumière méditerranéenne et murmures au saut du lit. Sublime !
La bande-originale est emmenée par trois chansons, dont deux originales de Sufjan Stevens, le maître de la musique indie : Mystery of Love , concourant pour l’Oscar de la meilleure chanson originale, Visions of Gideon et Futile Devices. À ces mélodies cristallines s’ajoutent des hymnes rétro comme Paris Latino de Bandolero et Love my Way des Psychedelic Furs.
Call Me by your Name est un film précis, brûlant, nostalgique et terriblement sincère, amenant chacun à se remémorer ses premières fois. Timothée Chalamet, véritable révélation de cette année 2018, y est magistral. Lors de la première projection au New York Film Festival, l’équipe du film a été ovationnée pendant pas moins de dix minutes et cela n’est, je le pense, pas assez. Que le retour à la réalité et au froid de l’hiver bruxellois est brutal !