critique &
création culturelle
FIFF 2015
Ma valeur et la tienne

Voici une famille dans laquelle priment la reconnaissance et la confiance, l’entraide et l’amour. On la contemple avec surprise et émerveillement car on redécouvre soudain, grâce à elle, ce que la tendresse signifie. Si tous y sont des êtres chers , elle ressemble presque à une petite utopie. Et pourtant.

Du 2 au 9 octobre 2015, le FIFF souffle ses trente bougies. Les rédacteurs de Karoo sont présents toute la semaine pour offrir un regard sur une sélection de films. Retrouvez toutes leurs articles.

Chassé-croisé
Quand deux rédacteurs tombent sous le charme d’un même film, il est difficile de résister à l’envie de confronter leur avis . Alors, chassons-croisons !

Beaucoup de bonté, énormément de douceur : avec les Êtres chers , Anne Émond a réalisé un film qui, dans la plus grande bienveillance, caresse les esprits et embrasse les sensibilités. C’est un film sur le temps qui passe, sur les générations qui se succèdent, sur les besoins pluriels et individuels, sur vous et moi.

David fabrique des marionnettes en bois, des pantins articulés qu’il peint et habille avec patience et investissement. Il a une femme ravissante, Marie, et deux enfants, Laurence et Frédéric, qui l’aident à façonner ces créatures miniatures. Il a aussi un frère, trois sœurs, et une mère veuve depuis quelques années. Il leur rend visite toujours avec émotion. Chacun est aimé pour ce qu’il est ; c’est une famille où il fait bon vivre, se taquiner, s’étreindre, se souvenir. Fier de ses enfants, David est habile dans son travail, cajolé par son épouse affectueuse, il est même l’homme le plus riche de son petit village. Pourtant, le tourment est bien là, pernicieux, ce mal-être qui s’est insinué en lui lorsque son frère André lui a appris que leur père n’était pas mort d’une crise cardiaque, comme il l’avait toujours cru, mais d’un suicide par pendaison.

Tel le balancier d’une pendule, une rythmique temporelle s’installe dans le film et y persiste jusqu’aux dernières images. De manière logique et cohérente, les Êtres chers s’organise sur un principe d’alternance entre escales et ellipses dans le cours des années qui passent. On assiste ainsi, au cours des cent minutes de film, à vingt ans d’existence de la famille Leblanc. De manière efficace et intelligente, l’âge adulte de Laurence succède à son adolescence, qu’on découvre elle-même après un saut temporel depuis sa petite enfance. D’autres éléments appuient cette harmonieuse cadence visuelle, parmi lesquels la répétition de scènes brèves mais essentielles. Plusieurs fois au cours du film, on voit de la sorte David partir à la chasse et ramener du gibier, chanter une même chanson qu’il a composée, accompagné de sa guitare, ou encore habiller ses marionnettes. Ces images récurrentes, qui peuvent évoquer le sentiment de déjà vu, apportent au récit un tempo subtil et y construisent une véritable symbolique du temps qui passe.

Le temps passe en effet, et David commence à extérioriser ses peurs. La peur pour les enfants qui quittent le foyer, la peur de vieillir, la peur de la rivalité familiale. Malgré cela, derrière des yeux souriants et la confiance en soi d’un homme qui a réussi sa vie, il reste difficile de déceler quelle est vraiment la cause de ces escapades solitaires et de ces soupirs douloureux. C’est une vraie angoisse existentielle qui le hante, mais ni sa famille ni nous spectateurs n’y avons accès. Les Êtres chers est bien un film doux, émouvant, et pourtant la violence y est omniprésente, de manière cachée : symboliquement à travers les scènes de chasse, de manière abstraite dans la rudesse de l’introspection.

Cela fait du bien de découvrir parfois des fictions qui n’ont pas la prétention de sortir du commun. Cela réconforte de voir un peu de notre existence portée à l’écran. Il est difficile, après cela, de penser qu’une vie, aussi simple soit-elle, peut être banale ou sans valeur. La construction très habile du film, le dense réseau de symboles qu’il recèle et la beauté de ses images font des Êtres chers un chef-d’œuvre de délicatesse. Le tout dans une nature verdoyante, dans un monde à l’ancienne, loin de l’emprise technologique dans laquelle nous vivons. Ce cadre revigorant est très certainement le résultat d’un choix avisé, et il contribue à faire du film une vraie bouffée d’air frais.

Même rédacteur·ice :

Les Êtres chers

Réalisé par Anne Émond
Avec Maxim Gaudette , Karelle Tremblay , Valérie Cadieux et Mikael Gouin
Québec , 2015, 102 minutes

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