Plongée dans le cœur sauvage de Marseille, ce premier long métrage vibrant et inattendu nous emporte dans la lutte pour la survie de deux adolescents dans une ville-monde aussi cruelle que libertaire.

D’une incroyable authenticité grâce à l’ensemble des acteurs et porté par le charisme électrique de ses deux personnages principaux, Shéhérazade est un premier long métrage lumineux. L’ouverture du film, comme pour mieux situer une histoire d’amour qui se pourrait éternelle, nous montre des images d’archives de Marseille. On y voit son immigration, ses ouvriers, son port, puis la construction des tours et des quartiers nord dans les années 70 avant de nous ramener entre les quatre murs d’une maison d’arrêt.

« J’arrive plus à avoir de cœur. »

Fraîchement sorti de prison, rejeté par sa mère, Zac traîne dans les rues de Marseille où il fait la connaissance fortuite de Shéhérazade. S’ensuit une joute verbale savoureuse et quelques tours de passe-passe. Quand Zac propose de la payer avec de la drogue, car à Marseille, « c’est de l’argent », il se fait rire au nez. Les deux acteurs principaux, lauréats des Césars des meilleurs espoirs 2019, Zac (Dylan Robert) et Shera (Kenza Fortas) ont été repérés lors d’un casting sauvage long de plusieurs mois à Marseille. Ils portent fièrement le film via des dialogues parfois improvisés et n’ont en rien modifié leur parler habituel : des rôles largement inspirés par leurs passés tumultueux.

« Mets-toi à sa place, sois là pour elle ! » Shéhérazade, qui vit dans une chambre avec son amie transsexuelle lorsqu’elle accueille le jeune homme désœuvré, martèle la notion de « respect », le contredit très vite, et le pousse à se mettre à la place des autres, des femmes, de réfléchir plutôt que de juger. Zac, pressé de faire ses preuves dans son quartier, devient rapidement son souteneur mais « elle choisit avec qui elle va » : une certaine vision de la liberté incompréhensible pour leur entourage, qui suscite jalousies et conflits violents auprès de ses associés petites frappes.

« Mon œil ? Il est mort. Mais il me reste l’autre. » C’est ce qu’explique Zac, éborgné pour avoir témoigné, de retour en prison pour proxénétisme, lorsqu’il revoit enfin sa Shéhérazade. L’amour ne l’aura pas rendu tout à fait aveugle. Persuadé d’avoir fait le bon choix en protégeant sa « femme » pour enfin espérer vivre comme les gens normaux, Zac se détache de sa mère qui n’a jamais pu faire des sacrifices pour lui. Il découvre la réelle loyauté, celle due à l’intégrité, et non à ses potes de quartier : celle d’assumer pleinement sa place d’homme responsable dans la société.

Le scénario offre une narration classique mais vive d’une histoire d’amour attachante dans les bas-fonds de la petite délinquance. Une œuvre de cinéma-vérité dénuée de voyeurisme, doublée d’une réflexion pertinente sur la difficulté de vivre les relations entre les genres, et, à tout âge, de vivre et reconnaître l’amour et les sacrifices. La photographie, délibérément épurée, sublime les visages des protagonistes et les place au centre de l’action par des plans rappelant le néo-réalisme italien.

Un film à l’image de Marseille, et de son âme populaire : un diamant brut.

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Shéhérazade

Réalisé par Jean-Bernard Marlin

Écrit par Jean-Bernard Marlin, Catherine Paillé

Avec Dylan Robert, Kenza Fortas, Idir Azougli

France, 2018

109 minutes