critique &
création culturelle
La Yougoslavie
au cœur des Ardennes

Dans un village ardennais, un homme originaire de Croatie débarque en 1995 chez Teresa, une femme à peine veuve et encore jeune, suite à une panne de voiture survenue devant sa maison. Elle ne le laissera pas repartir. C’est que, pour Teresa, cette arrivée est un signe de son mari défunt. Et peu importe qu’elle ne sache rien du passé de cet homme, échappé de son pays en pleine guerre de Yougoslavie.

Je n’avais jamais lu Armel Job avant de lire ce livre-ci. Son parcours d’écrivain est pourtant impressionnant : il a publié une vingtaine d’ouvrages en une vingtaine d’années, raflé toute une série de prix littéraires prestigieux : René-Fallet, Rossel des jeunes, prix des Lycéens et d’autres encore. Pourquoi donc, moi qui me suis donné pour mission auprès de Karoo de consacrer mes chroniques à la littérature belge, n’avais-je encore lu aucun de ses livres ?

Armel Job, un parcours d’écrivain impressionnant…

Parce que je n’avais pas croisé leur route, tout simplement. Je suis toujours étonnée des hasards qui nous conduisent à lire tel livre à tel moment, souvent le bon livre au bon moment. Cette fois-ci, le hasard a pris la voix de Nicole Debarre sur La Première. Plus que le fond de son propos sur le livre, c’est son ton qui a accroché mon attention. Celui de l’enthousiasme de la lectrice conquise, embarquée dans le récit, et qui offre à ses auditeurs de s’embarquer à leur tour. C’est ce que j’ai fait, et c’est maintenant à moi de vous communiquer mon emballement.

Le pitch du livre est assez simple : un inconnu débarque chez une femme qui en tombe amoureuse, alors qu’elle ignore tout de lui. Le pitch de toute histoire d’amour, peut-être ? Les sentiments ont-ils à se soucier du passé de celui ou de celle qui les anime ? Dans le cas de Teresa, ce n’est pas qu’elle se fiche de savoir qui est Branko, cet homme surgi dans sa vie. Elle met plutôt un point d’honneur à ne pas investiguer sur lui, convaincue que son apparition est un signe de son mari défunt, l’invitant à poursuivre la vie, à être heureuse. Catholique et très pieuse, Teresa aime cet homme avec foi , c’est-à-dire avec le fier entêtement de celle qui croit sans avoir vu. Mais cette foi n’est pas partagée par André et Tadeusz, les deux fils adultes de Teresa. Leur méfiance à l’égard de Branko paraît animée par un souci de protection de leur mère, mais découle aussi de leur possessivité vis-à-vis d’elle ou encore d’une forme de devoir de mémoire à l’égard de leur père. Au village aussi, on se méfie de cet homme fraîchement débarqué d’une région pas si éloignée, la Yougoslavie, dont les atrocités liées au conflit qui s’y déroule sont chaque jour évoquées à la télévision.

Une écriture précise et limpide.

En lisant ce roman, je me suis remémorée le livre Un grand amour , de Nicole Malinconi, auquel j’avais consacré ma toute première chronique pour Karoo. À propos de Theresa Stangl, l’épouse du commandant des camps d’extermination nazis de Sobibor et Treblinka, qui n’a rien voulu voir des activités de son mari, Nicole Malinconi s’interrogeait : « Un amour qui se préserve contre les raisons de ne plus aimer pouvait-il encore porter son nom d’amour ? » Sous une tout autre forme, ce roman-ci me paraît soulever à nouveau la question.

L’écriture d’Armel Job est précise et limpide. Il maîtrise parfaitement son récit qu’il fait avancer avec minutie à travers les voix alternées d’André et de Tadeusz. Les deux narrateurs s’expriment a posteriori, avec un souci de vérité mais aussi avec le recul des années écoulées depuis. Le lecteur est donc prévenu dès le tout début : cette histoire finira mal. Ce choix narratif n’enlève rien au suspense, bien au contraire. Le lecteur, au fur et à mesure qu’il s’attache aux personnages, se prend à espérer malgré tout une issue favorable. Il se rend compte qu’entre la situation de départ et la fin annoncée, la trajectoire n’est pas si linéaire qu’il pourrait paraître, les êtres sont plus gris – c’est-à-dire moins innocents pour certains, moins sombres pour d’autres qu’on aurait pu croire. Armel Job ponctue aussi son roman de réflexions très courtes, souvent d’une seule phrase, sur la religion, la famille, la vie… Alors le lecteur lève les yeux de la page. Son esprit fait un petit pas de côté, se nourrit aussi de ces phrases-là, les garde pour plus tard, avant de replonger dans le vif de l’histoire.

Et je serai toujours avec toi est un roman à dévorer, qui nous embarque par le suspense et la richesse du récit. Un vrai page-turner . Mais c’est aussi un livre qui pourrait bien, l’air de rien, laisser des traces en nous.

Même rédacteur·ice :

Et je serai toujours avec toi

Écrit par Armel Job
Roman
Robert Laffont , 2016, 306 pages