Indicible. Tel est l’effet de l’écriture de Jacques Vandenschrick. Paru l’an passé aux éditions Espace Nord, Avec l’écarté et autres poèmes réunit quatre de ses recueils. Du pays qui s’éloigne s’en détache grâce à la richesse de sa poésie. Voyageons au fil des textes qui en dessinent les contours.
« Le poète peut bien être à
l’homme, parfois, d’un certain
secours… Mais lequel ? »
Quelques courts passages suffisent à l’auteur pour nous peindre une âme hantée par un passé traumatique. Des visages. L’attente. La violence.
« Délivrez-le des visages trop nets.
Détresse d’une attente,
Retard d’un roi
Devant des bourgs déverrouillés.
Toutes les portes battent.
Et sifflent des harpes de fer. »
L’écrivain se montre inventif en choisissant pour métaphores l’« obscure lessive » et « la neige ». Saisissantes de contraste et de justesse, elles dépeignent avec une certaine force suggestive que les nuits du marcheur sont presque toujours troublées. À l’image du linge sale qui remplit la machine pour y tourner encore et encore, les cauchemars encombrent l’esprit de l’homme et s’y répètent inlassablement. L’apaisement intérieur, la sérénité qu’il semble rechercher dans un nouveau pays ne survient pas au cœur du réel. C’est uniquement dans le rêve que son esprit se lave de la noirceur du passé pour se teindre de la couleur immaculée de la neige.
«
Obscure lessive des songes,
Obscure lessive des nuits,
En attendant la neige sur cet autre pays
Où elle vient si rare
Et seulement de nuit.
Et seulement en songe. »
Parmi les souvenirs du passé qui tourmentent le dormeur, se détache une figure féminine spectrale qui semble constituer un réel danger.
« Il est perdu pour cette nuit,
Mêlé au fantôme et aux lèvres
D’une princesse compliquée… »
De façon allusive, Jacques Vandenschrick confirme cette impression dès le poème suivant. Le vocabulaire est soigneusement choisi pour suggérer indirectement la menace que représente la femme : « ombre de louve », « délire », « obscure », « buissons » , « impénétrables »… Plus généralement, le travail de la langue nous plonge dans une atmosphère mystérieuse.
« Ombre de louve sur les genêts.
L’armoise au vent délire
Vers une femme en ses parfums.
Syllabe obscure des buissons
Dans le sommeil, impénétrables… »
Le poète belge dévoile encore son talent sous un autre jour, quand quatre vers initiaux au pouvoir évocateur suffisent à dégager un imaginaire qui frappe l’esprit. Les échos sensoriels (« fraîcheur d’argile », « craie humide », « douce à ses pieds nus ») qu’abrite aussi le texte nous immergent dans ce monde qui s’ouvre.
« Elle traverse à cheval
La province des morts.
Tombes vides des soirs
À la fraîcheur d’argile
Ombre de craie humide
Et douce à ses pieds nus. »
Enfin, l’écriture de l’auteur se distingue en associant les mots justes de manière à créer une forme d’harmonie suggestive.
« Ne réveillez pas les villages.
Passez les cols en vous taisant.
Il faut survivre incriminé.
Restent la pierre, l’eau pure
Et la poudre des choses.
»
L’art de Jacques Vandenschrick est multidimensionnel. Son inventivité lui permet de trouver des métaphores originales (« obscure lessive », « neige ») et parlantes pour exprimer un maximum en peu de mots. La fausse simplicité de son langage cache quant à elle un travail d’artisan qui nous transporte dans une atmosphère mystérieuse ou dans un autre monde. À moins de nous révéler la poésie du réel…
« Restent la pierre, l’eau pure
Et la poudre des choses. »