critique &
création culturelle
Les fleurs sauvages d’Esperluète

Une petite fille en col roulé sur la couverture, un titre qui s’amuse avec la mythologie, une maison d’édition qui risque les textes libres…
Voilà les premiers ingrédients d’une lecture qui s’annonce savoureuse.

Comment, dans le flot des sorties incessantes, sur les tables et étagères surchargées des librairies, choisit-on un livre ? On peut être guidé par l’actualité, une critique lue ici, une interview vue ou entendue là. Mais alors on risque bien de se cantonner au pré carré de la littérature médiatisée, passant à côté du champ indompté des livres plus discrets. Et si nous nous laissions attirer par la sonorité d’un nom, la promesse d’un titre, le grain d’un papier de couverture ?

Ce qui m’a attirée vers Mes Pénélopes , c’est d’abord le titre. Parce que moi aussi j’en ai une, de Pénélope dans ma vie, j’ai eu envie d’aller lire celles d’une autre. Et la Pénélope du dessin de couverture me faisait drôlement penser à la mienne. Parfois, avant même d’avoir ouvert un livre, on a le sentiment que l’auteur a pensé à nous, en l’écrivant.

Carol Vanni, l’auteure

Mon envie s’est confirmée par la découverte de l’éditeur. La maison Esperluète, belge ! cocorico ! est une découvreuse de fleurs littéraires sauvages. Elle porte ses choix sur des textes singuliers, n’a même pas peur de la poésie. Elle les fait illustrer, souvent, enrichissant d’un visuel le voyage des mots. J’ai d’ailleurs écrit ma toute première chronique pour Karoo sur un livre publié chez Esperluète ( Un grand amour , de Nicole Malinconi. Tu ne l’as pas encore lu ? Lis-le !).

Les Pénélopes, ce sont celles qui attendent. Souvenons-nous de la mythologie : Ulysse, tout juste marié à Pénélope, la quitte pour la guerre de Troie. L’épouse l’attendra fidèlement de très longues années durant, malgré la foule de prétendants qui se pressent à sa porte, faisant et défaisant son ouvrage chaque jour. Les Pénélopes de Carol Vanni n’attendent pas forcément l’amour parti. Les raisons d’attendre sont multiples, exceptionnelles ou routinières. Le livre est construit sous forme de petits textes, un par page. Chaque Pénélope se présente, décline son prénom, son âge, dévoile en quelques mots l’instantané de son attente. Elles sont femmes ou filles, souvent, mais aussi homme, animal ou objet. On se plaît à deviner qui est cette Pénélope ébréchée sur la table du petit déjeuner. Un texte plus long, aux sonorités et à la syntaxe plus poétiques, filé entre les portraits, raconte la Pénélope de la mythologie. Carol Vanni vient de la danse, elle maîtrise la chorégraphie du langage et la mise en mouvement des récits.

Véronique Decoster, l’illustratrice

Les peintures de Véronique Decoster répondent aux textes de Carol Vanni par des mosaïques en noir et blanc de scènes du quotidien. Elles sont issues d’une série intitulée Intervalle , qui rassemble des images sorties d’albums de famille. Des visages, des détails, deux pieds, deux mains, un oiseau, un gâteau, un chien. Autant de vignettes qui nourrissent le lecteur, le renvoient à lui-même, son visage, ses pieds, ses mains, ses attentes du quotidien.

Mes Pénélopes est un livre à glisser dans son sac et à lire pour rêvasser un instant dans le bus, dans la salle d’attente du médecin, dans le café où l’on est arrivé un peu en avance à son rendez-vous. Un livre à lire quand on attend. Un livre pour espérer.

Même rédacteur·ice :

Mes Pénélopes

Écrit par Carol Vanni et Véronique Decoster
Roman
Esperluète , 2015, 104 pages