Henri Michaux
Les Midis de la poésie, c’est exactement ce que Karoo a envie de partager avec vous : soit une rencontre bien concrète entre des lecteurs, des poètes, des traducteurs et tous ceux qui vivent et font vivre la poésie. Un rendez-vous auquel nous convie Victoire de Changy.
Lire Midis de la poésie : le chambardement littéraire d’Huckleberry Finn .
Un mardi comme bien des autres de la belle 68 e saison de l’organisation, on a rendez-vous au musée des Beaux-Arts pour les Midis de la poésie. Au lendemain ou à la veille de, ça nous fait beaucoup de bien, ça , sur la pause midi, de mettre le reste – les réseaux, la terreur, la résistance (sous quelque forme qu’elle soit), en mode silencieux, de n’écouter, ne se nourrir, ne penser à rien d’autre qu’à la poésie. Ce mardi, c’est des Henri(s) Michaux qu’il s’agit. Ils sont deux, l’observateur et l’observé ; ils sont des dizaines ou des milliers et ils ont bien des choses à raconter.
C’est François Emmanuel – écrivain belge qui partage avec Michaux, en plus d’une plume à rester pantois (chacun à sa manière propre), l’intérêt pour la psychiatrie – qui raconte les pérégrinations de Michaux dans ses propres terrains d’explorations. À ses côtés, Franck Dacquin, comédien à l’année au Poème 2, donne la réplique en lisant des passages des ouvrages dévolus à la question. Tous deux se répondent à la perfection, ne laissant place ni au silence, ni à l’hésitation.
Le postulat de départ réside dans l’idée largement répandue que nous n’avons accès, en vérité, qu’à une toute petite partie de nous-mêmes. Dès lors, l’écriture se doit d’être l’instrument de toute espèce de voyages, d’expérimentations, de rencontres. Michaux, désenchanté dès sa naissance rue de l’Ange, se sent étranger au monde, né troué : un enfant trouvé. C’est pour se ré-enchanter qu’il se met perpétuellement en mouvement, s’engage dans de nouveaux exercices et écartèlements. Le voyage « réel », pour Michaux, perd de sa superbe face aux infinis possibles du voyage intérieur.
Je ne voyage plus.
Pourquoi les voyages m’intéresseraient-ils ?
Ce n’est pas ça.
Ce n’est jamais ça.
Je peux l’arranger moi-même, leur pays.
[…]
Les montagnes, j’en mets où et quand il me plaît, où le hasard et des complaisances secrètes m’ont rendu avide de montagnes, dans une capitale, encombrée de maisons, d’autos et de piétons préparés exclusivement à la marche horizontale et à l’air doucereux des plaines.
Je les mets là (pas ailleurs), en pleine construction de briques et de moellons, et les bâtiments n’ont qu’à faire place.
D’ailleurs, ce sont des volcans, mes montagnes, et fin prêts à cracher une nouvelle hauteur en moins de deux.
[…]
Ils sont là maintenant.
Fasciné par son propre corps, Michaux a longtemps erré dans l’espace du dedans, transformant la moindre fièvre en épopée, s’enfonçant toujours plus profondément dans le territoire de soi. À cinquante-cinq ans, il décide, mû par le désir de se réinventer ou de se découvrir autrement, de se lancer dans de nouvelles expérimentations, avec l’usage la mescaline. Des livres, récits ponctués de dessins à main levée, vont tenter de rendre compte de ces détours aventureux : Misérable Miracle , l’Infini turbulent ou Connaissance par les gouffres .
La mescaline appartient aux drogues du groupe « fantastica » ; elle est une éveilleuse, active « le merveilleux normal », d’où l’intérêt tout particulier de Michaux à son endroit. L’idée du poète est d’être tout à la fois l’observant et l’observé, d’expérimenter en restant suffisamment conscient pour rendre compte de ses expériences, de saisir le saisir . Pour ne rien laisser échapper, Michaux se munit d’un papier, d’un crayon, et tente de tout noter. La course est vertigineuse et effrénée, paradis intolérable et insupportable, l’écriture danse ou devient invisible, traces sismiques laissées par le passage du trouble. En résulte un « style instable, toboggan et babouin ».
Je voudrais en sortir, pas sortir par une sortie, en sortir multiple, en éventail, un sortir qui ne cesse pas […] une fois sorti je recommence aussitôt à sortir.
Au terme de sa traversée mescalinienne et jusqu’à sa mort, Michaux continuera à vivre sa vie comme une aventure, gardant toujours le goût et l’espace, autour et à l’intérieur de lui, pour les grandes échappées.
Pendant une heure, c’est certain, on aura oublié le reste et vastitude aura trouvé verbe.
Les Midis de la poésie, ça continue demain ! Mardi 24 novembre 2015, récital et art par les textes au musée Fin-de-siècle. Avec l’ensemble poétique du Conservatoire royal de Bruxelles. Trois séances : 12 h 30 – 13 h 30 – 14 h 30 (40 personnes par groupe). Sur réservation.