critique &
création culturelle
« L’ hôtel »
Jean Cocteau tel est son poème

Certains textes me marquent plus que d'autres, « L'hôtel » de Cocteau est l'un d'entre eux. Il respire à mes yeux l'originalité grâce à ses jeux de langage, mais sa portée l’amène bien au-delà. Certains de ses vers revitalisent la langue tout en exhalant au passage un parfum de rêve et de mystère.

« Les  mots  sont  vieux.  L’art  d’écrire  ou  de parler, c’est l’art de rendre aux mots leur jeunesse. »

— Christian Dotremont

« La mer veille. Le coq dort.

La rue meurt de la mer. Île faite en corps noirs. Fenêtres sur la rue meurent de jalousies.

La chambre avec balcon sans volets sur la mer

Voit les fenêtres sur la mer,

Voile et feux naître sur la mer, Le bal qu’on donne sur la mer. Le balcon donne sur la mer.

La chambre avec balcon s’envolait sur la mer.

Dans la rue les rats de boue meurent

(Le 14 que j’eus y est),

Sur la mer les rameurs debout.

La fenêtre devant hait celles des rues ; Sel de vent, aisselles des rues,

Aux bals du quatorze Juillet. »

Composé par Jean Cocteau, le poème « L’hôtel » héberge une multitude de jeux de langage. La plupart d’entre eux explorent les potentialités qu’ouvre la matérialité sonore du français.

Jouant  sur  la  sonorité  de  l’enchaînement  de  mots  ou  de  syllabes,  en réunissant  les  premiers  et  en dissociant  les  secondes,  Cocteau  nous suggère ou dévoile de nouveaux mots :

« La mer veille . » -> La merveille

« La rue meurt de la mer. » -> La rumeur de la mer

« Le balcon donne sur la mer. » -> « Le bal qu’on donne sur la mer. »

« Voit les fenêtres sur la mer, » -> « Voile et feux naître sur la mer, »

« La chambre avec balcon sans volets sur la mer » -> « La chambre avec balcon s’envolait sur la mer. »

« La fenêtre devant hait celles des rues ; Sel de vent, aisselles des rues, »

Il arrive qu'on doive rassembler des mots non consécutifs également :

« Dans la rue les rats de boue meurent […]

Sur la mer les rameurs debout. »

Le poète joue aussi sur l’homonymie (« Île » - « Il » ; « Sel » - Celle), la liaison (« faite en corps » - « fait encore ») ou encore la prononciation (« (Le 14 que j’eus y est) » - « Aux bals du quatorze Juillet »).

En jetant un œil au troisième vers, on se rend compte que le mot « jalousies » entre en résonance sémantique avec le mot « fenêtres ». Cocteau joue donc non seulement sur la sonorité des mots, mais aussi sur le sens.

Au-delà des jeux de langage, il insuffle à son poème rêve et mystère. On y parle ainsi d’un bal donné sur la mer, de feux qui naissent sur cette étendue ou encore de l’envol qu’y prend une chambre avec balcon...

Ainsi, des mots ( merveille ; fenêtres ) ou expressions ( la rumeur de la mer ; le balcon donne sur la mer ) courant(e)s inspirent à Cocteau des formulations neuves, parfois parfumées de rêve et de mystère. Le poète revitalise donc la langue à sa façon et éclaire les paroles de Christian Dotremont : l'art d'écrire consiste à rendre aux mots leur jeunesse .

Même rédacteur·ice :

« L’hôtel »

Jean Cocteau

in Michel Décaudin (éd.), Anthologie de la poésie française du XX e siècle , coll. Poésie, Paris, Gallimard, 2012, pp. 268-269.