Dans son roman, L’Amour est une maladie ordinaire , publié aux éditions Le Tripode (mai 2019), François Szabowski nous présente une histoire aux allures de comédie romantique bouleversante et ponctuée de crises existentielles.
L’Amour est une maladie ordinaire nous emmène dans le quotidien d’un homme quelque peu troublant. Approchant la quarantaine, François refuse de croire à l’amour éternel et simule sa propre mort pour figer dans le temps la relation qu’il entretient avec une femme, une fois cet amour à son apogée. Pour l’aider dans la réalisation de ses plans morbides, il fait confiance à Didier, qu’il décrit comme son demi-frère. L’Amour est une maladie ordinaire nous confronte à la question de l’amour, mais également à celle de l’identité.
« Qui, dans sa vie, n’a pas rêvé de disparaître subitement pour laisser un souvenir impérissable ? » Déjà sur la quatrième de couverture, on est tenté d’être de l’avis de François. Très vite, on comprend où le personnage veut en venir. L’amour, le véritable amour, n’est pas éternel et la routine, en s’installant, fait tomber les masques et met en évidence les défauts. Dès lors, l’amour se consume à petit feu. La seule solution, c’est de le suspendre. François l’a bien compris. Convaincu d’être un génie, il organise ses propres funérailles dès l’instant où sa relation avec une femme devient trop fusionnelle et atteint son climax. Trois femmes se voient ainsi prendre leur partenaire aussitôt qu’elles s’attachent un peu trop à lui. Cependant, pour garder ses machinations secrètes, François doit changer d’apparence, de logement, de métier, éviter ses anciens quartiers, en gros : « [il s’invente] chaque fois une biographie absolument délirante » car « il faut ramener la scène dans la vie, pas l’enfermer dans un théâtre ».
J’ai compris que je n’avais plus le choix : il fallait que je me suicide […] Si je disparaissais maintenant, aucun des hommes qu’elle connaîtrait par la suite ne serait jamais à la hauteur, en comparaison avec moi, et avec notre histoire.
L’Amour est une maladie ordinaire nous embarque donc dans un conflit d’identité. D’un côté, François ne cesse d’en changer et se crée un nouveau personnage à chaque nouvelle mort. De l’autre, celui qu’il présente comme son demi-frère (à cause de sa ressemblance physique), Didier, est amnésique et cherche désespérément qui il était avant de perdre la mémoire. Les deux personnages entrent alors en opposition. L’un prend le parti de choisir son identité au gré de ses conquêtes, tandis que le second ne parvient pas à reconstruire la sienne. Le duo est toutefois très inquiet du bonheur de chacun et s’entraide aussitôt qu’il le peut. Didier accueille ainsi régulièrement François dans son appartement dont le sol est jonché de pièces de puzzles, lesquelles symbolisent l’incapacité de l’amnésique à se reconstruire. François est déterminé à accompagner son ami, à le distraire de la morosité de sa vie incomplète. Les deux personnages sont élaborés de façon parallèle, jusqu’à ce que la vie de chacun bascule pour inverser la tendance et entrer en opposition. Didier retrouve le goût de vivre suite à certaines révélations et François devient invisible à force de chercher à disparaître de la vie de ceux qui l’entourent.
Y a rien de plus beau que d’être dans la peau d’un autre, d’incarner un autre esprit, une histoire autre que la sienne. Et la transmettre à un public. D’être un passeur. De rêves. D’amour. Un tuyau qui conduit l’amour vers l’autre, comme l’eau dans le robinet, tu vois ce que je veux dire ?
Le personnage de François, marginal et anticonformiste, est définitivement déstabilisant. D’une part, on comprend son raisonnement et on y adhère. On s’inscrit dans sa réflexion quant à l’amour et on partage son opinion : oui, pour se sentir aimé à jamais, il faut éviter que l’amour ne pourrisse et pour ce faire, il faut l’interrompre. Néanmoins, d’un autre côté, on le trouve grotesque et puéril. On s’attache à lui, mais on finit par avoir le sentiment que François veut simplement fuir les responsabilités et les conflits qu’impose toute relation. Il est incapable de s’engager avec une femme depuis qu’il estime qu’à 38 ans, s’il n’a jamais connu le véritable amour, c’est qu’il n’est pas fait pour ça. À l’issue du roman, François nous apparaît comme un égoïste qui, par ses désirs pervers, se complait dans la souffrance de l’autre pour son propre plaisir : celui de se sentir aimé. Toutefois, son narcissisme est tel qu’il en devient pathétique, et qu’on ne peut qu’avoir pitié de lui : « Il n’était pas fou, c’était seulement un immonde connard ».