critique &
création culturelle
Lisières d’Aliénor Debrocq et Philippe Mailleux
Écrire l’absence

Dans Lisières , livre co-signé par l’autrice Aliénor Debrocq et le photographe Philippe Mailleux publié chez ONLIT, écriture et photographie se rencontrent, se mesurent et se confrontent sans jamais pleinement s'étreindre.

Lorsque Philippe Mailleux invite Aliénor Debrocq ( À voix basse , Cent jours sans Lil y...) à écrire sur ses images, celle-ci se découvre un syndrome de la page blanche inattendu. Face à une difficulté évidente à discourir sur un apparent vide, l’autrice, également journaliste, regarde encore et encore les images du photographe, jusqu’à les « connaître par cœur ». Cimetières, forêts, rivages, hangars : tous sont désertés.

Dans l’immobilité de ces paysages périphériques dénués de légendes ne subsistent que les traces étranges, les vestiges inquiétants, d’un passage, d’une présence : « Philippe parcourait les cimetières mais se défendait bien d’y voir la mort, tandis que je ne décelais que ça. » Écrire l’absence passerait donc par le deuil d’une image habitée de silhouettes : « Ce qu'on a à écrire réside peut-être justement dans la faillite de nos attentes. Ce qu'on ne nous a pas dit. Ce qu'on nous a fait croire. Les documents qu'on n’a pas trouvés. Les images qui manquent. Bref, tout ce qu'on n'a pas obtenu. Et pourquoi. »1

Comme Alec Soth, Sophie Ristelhueber, Mitch Epstein ou encore Marie Bovo, Philippe Mailleux n’est pas le premier dont les photographies hantées peuvent déconcerter un public non-initié. Fabien Ribery explique à propos du travail photographique de Marie Bovo : « Ce qui semble abandonné attend simplement de reprendre vie, à l’heure appropriée. » À l’instar des lieux photographiés de nuit, présentés en 2020 par la photographe de la cité phocéenne à la Fondation Cartier-Bresson, qui se sont avérés plus révélateurs qu’un portrait, plus documentaires encore qu’une scène de vie peuplée, les images de Philippe Mailleux semblent plus de l’ordre de « trouées du réel » que « de décors ».

De ces échappées, Aliénor Debrocq choisira finalement d’écrire le hors-champ, « la part des anges. Celle qui s’évapore, comme dans le whisky. Celle qui reste aussi ». Les dérives pédestres du photographe lui inspirent ainsi cinq mises en abyme personnelles de la disparition, où pouvoir et privilèges règnent dans un monde aveugle et sourd, où le sublime et le souvenir d’enfance enracinent l’identité, où la mise à mort d’un rhododendron venge une « rupture qui n’a pas dit son nom ».

Entre l’essai, la nouvelle et le catalogue papier glacé, Lisières a le mérite de prendre le risque, noble, de publier un livre à l’orée de la littérature et de la photographie. Même si les deux corpus se complètent et s’enrichissent en vase communicants, le texte semble largement l’emporter sur l’image. Certains choix éditoriaux ne rendent en effet pas justice à la qualité du travail du photographe : les seize images paraissent bien à l’étroit, menacées par le pli étriqué du dos carré-collé et les détails des photographies qui font le charme et la richesse du moyen format argentique s’évanouissent dans le petit format d’impression des images, format poche de la collection ONLIT MINI oblige.

Lisières est un ouvrage bicéphale qui ne s’apparente ni à l’objet-livre, ni au livre d’artiste. Riche de sa pluridisciplinarité, il porte un regard introspectif sur le processus d’écriture et questionne indirectement l’hermétisme que peut représenter la niche de la photographie documentaire. Le plaisir de la lecture est au rendez-vous, même si la promesse de la symbiose annoncée ne semble pas pleinement tenue. Peut-être l’exposition éponyme, qui y sera dédiée au KULT XL du 7 au 24 octobre 2021, proposera-t-elle un dialogue plus équilibré ?

Même rédacteur·ice :

Lisières

Aliénor Debrocq (textes) & Philippe Mailleux (photographies)

ONLIT éditions, collection ONLIT Mini, 2021

84 pages