Avec son quatorzième ouvrage, Philippe Remy-Wilkin nous offre un intéressant conte fantastique basé, comme souvent chez cet auteur belge, sur des faits historiques. Prix Gilles Nelod 2018, la nouvelle de 58 pages nous perd entre rêve, réalité, passé et présent, emboîtés telles les fameuses poupées russes qui confèrent à juste titre son nom au récit.

Un fantôme du passé

Vaseux, la tête embrumée, Thomas se réveille dans sa chambre d’hôtel dans la ville de Saint-Pétersbourg : un « lendemain de veille » pour le moins difficile. Intéressé par le mystère de la Chambre d’ambre en vue d’un prochain film, il s’est rendu dans cette ville pour ses recherches mais autre chose hante ses pensées : une scène, LA scène ou même LES scènes phares de sa relation avec ELLE. Il y pense tellement qu’il finit par LA voir quand il sort prendre l’air. Fruit de son imagination ? Hallucination due aux substances consommées la veille ? Ne s’est-il simplement jamais réveillé et voyage-t-il dans un rêve mêlant souvenirs déchirants et études historiques ou est-il réellement en train de vivre une aventure fantastique ? Ces questions accompagneront les lecteurs tout au long de l’aventure du jeune homme qui, en LA suivant, se retrouve dans des situations aussi étranges qu’inexplicables, tantôt douces et merveilleuses, tantôt violentes et épouvantables.

Rêve ou réalité

Sur la couverture du livre, en dessous de La buveuse d’absinthe de Léon Spilliaert, on peut lire : « Un conte fantastique. » Ce genre, s’il a la « chance » d’avoir une sélection de critères spécifiques, est, comme tous les genres – littéraires ou autres –, sujet à des écarts plus ou moins importants. Les frontières les délimitant ne sont pas aussi nettes qu’on le voudrait mais c’est ce qui rend intéressante la question de l’appartenance d’un récit.  

« La buveuse d’absinthe » – Léon Spilliaert

Ainsi, Matriochka se veut fantastique mais l’est-elle vraiment ? Certainement. Toutefois une petite observation mériterait d’être mise en exergue : l’auteur n’attend pas que son personnage ignore un avertissement pour le tourmenter de quelques phénomènes étranges. On pourrait, bien sûr, expliquer ces derniers par le manque de sobriété du protagoniste plutôt que par l’intervention du fantastique. On pourrait aussi reconnaître, dans la scène de la fameuse chambre d’ambre, un avertissement suivi peu après de sa transgression dont les effets ne se font pas attendre. Mais l’on se demande toujours : « L’aventure fantastique a-t-elle maintenant réellement commencé ou sommes-nous encore dans un rêve ? Si rêve il y a… » C’est très flou et on n’est sûr de rien, si ce n’est que du rêve on est passé au cauchemar, à la Peur – cet autre élément essentiel qui est bien présent. Si la fin – presque bateau – est prévisible de par le fait qu’il s’agit bien ici d’une nouvelle fantastique, le flou continuel entre extraordinaire et délire alcoolique offre une lecture des plus intéressantes, un petit peu dérangeante, comme on les aime.

Un texte agréable

Énormément descriptif, le texte est rempli de phrases courtes, souvent nominales et qui vont droit au but : elles fusent comme la pensée. Le rendu en est très économique : clair sans trop noircir les pages. Aussi, certains événements que vit Thomas sont décrits comme si l’on regardait une scène de film à travers une caméra, comme à la page 35 : « Séquence. Une plongée spectaculaire vers les figurants. » Ces éléments constituent un style agréable à lire de par sa concision – toujours appréciable – et son originalité. De plus, le texte est riche en références culturelles, qu’elles soient liées ou non à la Russie. Celles-ci vont tantôt créer une complicité avec le lecteur quand il perçoit la référence, tantôt piquer sa curiosité quand ce n’est pas le cas.

Lecture agréable et originale, cette nouvelle d’un fantastique non-traditionnel nous fait voyager par divers « plans-séquences » dans le Saint-Pétersbourg d’hier et d’aujourd’hui. Les férus de mystères historiques et d’événements inexplicables seront comblés par Matriochka, tout comme les curieux à la recherche d’une histoire d’un soir.

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Matriochka

de Philippe Remy-Wilkin,
Éditions Samsa, 2019,
58 pages