critique &
création culturelle
Rien que le soleil de Lou Kanche
Épopée d’une femme en quête d’elle-même

Professeure de français en banlieue parisienne puis en Belgique, Lou Kanche nous dessine les traits d’une jeune femme en quête de soi dans son tout premier roman Rien que le soleil .

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Personnage complexe et cultivé, Norah Baume est comme son autrice, professeure de français en banlieue parisienne. Enseignante à Garges-lès-Gonesse, ville aux quartiers difficiles, elle y rencontre Sofiane, un de ses élèves. Ce lycéen de 17 ans aux pommettes saillantes et au regard profond intrigue d’abord l’héroïne, mais cet intérêt qu’elle lui porte se transforme progressivement en un amour passionnel qu’elle tente de dompter. La jeune femme se laisse pourtant aller aux rêveries et ne tente pas de refouler cet amour naissant. Bien au contraire, elle tente de le comprendre mais lentement : le nom de Sofiane va s’immiscer dans son journal intime, va dévorer ses pensées et bientôt submerger ses rêves de volupté et de soleil.

À vue d’œil, tout séparait nos deux protagonistes, mais l’arrogance et la désinvolture de son élève éveillent chez Norah un sentiment nouveau que même Paul, son compagnon, ne lui avait jamais fait ressentir. Son langage est familier et ses copies bourrées de fautes, néanmoins Sofiane incarne l’irrévérence et la liberté d’une jeunesse aux mauvaises fréquentations et aux mauvaises décisions…

Sofiane, pour moi, c’est le règne de la violence, des scooters qu’on enfourche comme des chevaux, c’est la fumée du shit qui monte en volutes grises, les conversations, les altercations. C’est le règne de la masculinité.

Le récit est à la fois complexe et d’une grande simplicité : à la culture et aux réflexions de Norah viennent s’additionner la plume crue et simple de Lou Kanche. Ainsi on y décrit un amour naissant entre une professeure et son élève, une passion qui questionne le lecteur sur les limites et la moralité en amour : Lou Kanche exploite cette thématique en ayant en tête Phèdre de Racine. C’est le même schéma dans les deux récits, celui d’un amour interdit et passionnel dont les deux héroïnes se rapprochent dangereusement, sans y succomber. Pour échapper à l’amour qui ronge le cœur et l’esprit de Phèdre, cette dernière se tue ; quant à Norah Baume, elle décide plus simplement de s’échapper, de quitter Paris pour Marseille sur un coup de tête avec pour seul bagage son cartable et une copie à l’écriture fébrile de Sofiane.

De là commence le périple de Norah : elle n’informe pas ses proches de son départ et  ne donne que peu de nouvelles, tardivement, durant ces vacances improvisées. Elle tente d’échapper à la vie parisienne, à sa vie parisienne, à son compagnon, à ses collègues, à ses élèves, à tout ce qu’elle avait construit jusque-là. Norah se cherche, elle tente de trouver qui elle est en dehors de toutes les influences que le quotidien et son milieu imposent. Arrivée à Marseille, elle se trouve plongée dans l’inconnu, l’amenant ainsi à faire de nouvelles rencontres. Elle y tente de nouvelles expériences, notamment avec Freddy d’une part et Léna d’une autre, qui vont tous les deux faire surgir un nouvel aspect de sa personnalité. Voyage ensoleillé en terre inconnue, cette dernière partie de l’ouvrage est l’incarnation de la quête de soi, à laquelle toute personne peut s’identifier. En effet, les thématiques soulevées par Lou Kanche sont humaines et universelles : l’amour, l’amitié, la sexualité, le sacré, la religion mais aussi le danger, la délinquance, l’art, l’histoire.

Je n’ai rien perdu du tout, j’ai tout reconstitué.

L’art, l’histoire et la religion occupent en effet une part importante de ce récit dont l’héroïne et l’écrivaine partagent l’influence, de par leurs références et sensibilités. Ainsi, le roman est marqué par une forte dualité : Norah nous parle de Dieu, du Caravage, de Racine et de ruines antiques, mais cet imaginaire bute constamment sur la vie réelle, crue et dure de Garges-lès-Gonesse, à la routine pesante et aux difficultés que le monde impose. L’art, l’histoire et la religion incarnent l’inaliénabilité, la constance et la beauté : ils ne peuvent être modifiés et sont ainsi un refuge et une façon neuve de percevoir le monde pour Norah.

Je pénètre dans la salle de classe comme dans un sanctuaire profané où chaque coin de table a été raturé, tous ayant voulu laisser une trace de leur passage. […] La peau des adolescents traîne le manque de soleil, elle contraste avec les survêtements aux teintes fraîches qui, parfois, font deviner les muscles des garçons.

Ce roman est donc d’une grande richesse : les idées sont belles et leur transcription écrite d’une sincérité telle qu’on a l’impression parfois de vivre avec l’héroïne ou de voir à travers ses yeux. L’écrivaine sait jouer des mots pour nous transmettre une émotion ou une sensation par leur manifestation physique par exemple :

Je sens le goût suave du sorbet au cassis couler dans ma gorge nouée, une anesthésie locale. […]

Quelques jours plus tard, à l’interclasse, les mains dans son jogging trop court, Sofiane est venu s’assoir sur l’une des tables près du bureau, il lâchait un chewing-gum qui semblait lui coller aux dents, lentement, animal. J’ai bien senti comme ça a fondu à l’intérieur de moi et je me suis efforcée de ne pas paraître gênée […]

Première œuvre de Lou Kanche, Rien que le soleil est un roman cru et sensible qui nous donne à voir le monde par les yeux d’une femme en quête de soi. Nous l’accompagnons dans son introspection animée par un amour passionnel pour un adolescent à ses antipodes, nous découvrons ce qu’est la beauté, la liberté et l’amour dans un récit tout en simplicité, plein de lyrisme et de volupté.

Même rédacteur·ice :

Rien que le soleil

Lou Kanche

Éditions Grasset, 2021

215 pages

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