L’art contemporain et les questions qu’il suscite se confondent dans le micro-roman de Jacques De Decker, Suzanne à la pomme , qui nous parle de la vie, du quotidien et du petit monde du quartier des Sablons.
Décédé peu avant la parution de son ouvrage aux éditions Maelström ReEvolution, Jacques de Decker choisit une plume d’une simplicité surprenante dans Suzanne à la pomme . On tente d’y mettre en exergue les aspects essentiels à la survie de l’homme : la culture, le partage et les relations. Suzanne, personnage principale de ce récit, y est décrite comme une femme belle et intelligente avec un soupçon de naïveté accompagné d’un bon manque d’expérience en matière d’art.
« J’étais une gamine, et je savais ce que je voulais connaitre. »
Cette gamine l’est dans un contexte particulier, celui du marché de l’art et de l’univers des galeristes. Jacques De Decker souligne sans tabou la complexité de certaines questions autour de l’art, en décrivant ce monde comme étant réservé à une élite intellectuelle et financière, et presque inaccessible pour les moins audacieux. Il semble ainsi tenter de démocratiser l’art en l’inscrivant dans un cadre qui nous est familier : les personnages et lieux, qui se rapportent de près ou de loin à la galerie dans laquelle elle vient d’être embauchée, sont ordinaires et authentiques.
Cette entrée dans le monde des galeristes est décrite du point de vue de Suzanne, ainsi les scènes qu’elle vit et les questionnements qui tournent dans sa tête sont spontanés et naturels, rassurant le lecteur qui n’en connaît sûrement pas plus sur l’art contemporain. En effet, l’écrivain parle avec aisance des hésitations et des difficultés que ce domaine peut engendrer et tente même de nous le faire comprendre :
« Vous aimez ça la peinture ? Je lui ai dit que je n’y connaissais rien. Il n’y a pas à connaître, y a à se laisser capter. »
Les mots de De Decker sont clairs et le vocabulaire dans l’air du temps, et à ceci s’ajoute une mise en image accompagnant le récit. Maja Polackova sélectionne des bribes de phrases pour les revêtir d’images sur certaines pages du livre : collages, assemblages, retournements et détournements parsèment le livre. Les mots sont déguisés d’une iconographie issue de la Renaissance italienne que l’on reconnaît au premier coup d’œil : des Vénus courent les rues, parcourent les librairies et discutent avec des peintres. Les corps de ces femmes et les décors environnant sont des découpages de magazines actuels, détournant par exemple le corps originel de la Vénus de Botticelli.
Maja Polackova et Jacques De Decker usent respectivement des collages et des mots pour rendre l’art accessible, pour le démocratiser et lui rendre son humanité. Le mariage de leur deux disciplines est une expérience sensorielle particulière, comme un retour à nos lectures de bandes dessinées, ou encore plus loin : comme un livre pour enfants. Les images accompagnent les mots comme les mots accompagnent les images, pour nous offrir un roman simple dont la douceur, la proximité et l’humanité ravivent nos cœurs.