Un roman comme une sonate
Le lien qui unit Friedrich, pianiste réputé, et Adrienne, grande amatrice de musique, est avant tout épistolaire. Ils ne se sont croisés qu’une seule fois, à la sortie d’un concert, il y a plusieurs années. Depuis, ils s’écrivent, presque quotidiennement. Michelle Fourez construit autour de ces deux personnages un court roman qui emprunte à la sonate sa sensibilité et sa musique.
Adrienne ne m’a pas écrit est un roman bref, il n’aurait pu en être autrement. C’est qu’Adrienne n’a plus beaucoup de temps devant elle. L’homme avec qui elle correspond par mail depuis plusieurs années, Friedrich, grand pianiste, sera à Bruxelles dans quelques jours pour un concert. Alors qu’elle pourrait se réjouir de retrouver enfin celui avec qui elle n’échange que des mots, Adrienne s’enfuit. Pour la première fois depuis leur rencontre, elle ne répond pas aux mails de Friedrich. Sur les chemins déserts de l’arrière-pays de la côte d’Opale, évitant la beauté de la mer, Adrienne réfléchit. Cet homme qu’elle aime, pourra-t-il l’aimer, elle ? Ne fuira-t-il pas à son tour quand il ne sera plus face aux mots mais à la femme, bien réelle, avec sa chair abîmée et ses blessures cachées ?
Adrienne ne m’a pas écrit est le récit de ces quelques jours d’avant. Avant le concert, avant le rendez-vous, avant les retrouvailles. On se souvient de nos craintes d’ados quand, le rencard espéré enfin décroché, il fallait bien se décider à y aller. Les Et si ? se bousculaient : et si l’autre ne venait pas ? Et s’il se moquait de moi ? Et si j’embrassais mal ? Passé cinquante ans, la terreur de déplaire à celui ou à celle que l’on aime ne s’est pas vraiment estompée. Elle prend d’autres tournures : aimera-t-il mon corps meurtri ? Sera-t-il déçu de la femme que je suis ? mais continue à faire trembler les amoureux.
Et au-delà de ces craintes, Michelle Fourez explore des vies. Vies de ses deux personnages, banales et extraordinaires, comme toutes, comme la nôtre. « Je les regarde caméra à l’épaule », précise Michelle Fourez. L’un et l’autre se rappellent les incidents de parcours sur lesquels ils ont trébuché sans vraiment tomber. Ils en sont fragilisés mais n’ont pas désappris à marcher. Le lecteur en apprend un peu sur eux, devine, invente, comble les trous avec ses propres cailloux. Il y a forcément un peu de nous, chez Adrienne et chez Friedrich.
Michelle Fourez construit son texte en donnant voix à ses deux personnages selon un rythme libre. Passant des pensées de l’un aux écrits de l’autre, le lecteur les voit se répondre, même s’ils ne communiquent plus vraiment, à ce moment précis et suspendu de leur histoire. Les mots aussi rebondissent et se font écho, d’une phrase à l’autre, comme les notes fluides d’une sonate pour piano et violon. Il y a la précision d’un clavier, dans l’écriture de Michelle Fourez, et l’envolée des cordes. Le style est léger et harmonieux, musical.
« Je ne suis pas bavarde, dit l’auteure, je montre, c’est tout. » C’est tout, mais c’est beaucoup.