critique &
création culturelle
Azure de SKY H1
Blues synthétiques

Le premier album de la Bruxelloise SKY H1, Azure , fait tanguer d’un endroit à l’autre, d’un point d’observation céleste aux profondeurs sourdes des bas-fonds océaniques. Une mélancolie oscillant entre l’organique et le synthétique.

Sorti fin 2021 sur le label londonien AD93, Azure est le premier album de SKY H1, projet d’une jeune musicienne et productrice belge de musique électronique et expérimentale. Elle offre ici un album clairement orienté électronique-ambient, bien que, touche-à-tout, elle brasse différents styles et influences cosmopolites depuis ses débuts.

Elle n’est en effet pas tout à fait novice, avec quelques EP sortis dès 2015 : un premier, Fluid , sur le label berlinois Creamcake, et diverses collaborations en parallèle avec des producteurs. Son EP suivant, Motion , qui sort en 2016, pointera définitivement les radars sur elle, accompagné d’un joli petit succès critique se déployant hors de nos frontières.

Comme beaucoup de musiciens portés sur la musique principalement instrumentale et contemplative, elle dégaine également à l’occasion ses instruments et ses machines au service de bandes-son cinématographiques, ainsi que pour accompagner des installations d’art et de vidéo par des paysages et des illustrations sonores.

Ces débuts plutôt prolifiques et prometteurs ont fait d’ Azure un album particulièrement attendu au tournant au sein de la scène électronique. L’album capte déjà l’attention par son titre, sa pochette, et les titres de morceaux, créant tous ensemble une certaine cohérence, un esthétisme et un univers mis en place par la musicienne (commençant déjà par le « Sky » et le « H » dans son nom de scène). L’azur peut renvoyer d’abord au ciel, à la mer, ou encore à la mélancolie. Le motif présent sur la pochette, d’ailleurs, plutôt mystérieux, sur fond de teintes bleutées, peut tout autant désigner un objet (non identifié) volant que flottant, ou immergé.

Sur la page Bandcamp de l’album, on peut lire cependant que le titre est d’abord un hommage à la mère de la musicienne, l’ensemble lui étant dédicacé. La couleur bleue évoque en effet également l’éternel, l’immuable et l’infini, tout comme le sont le ciel et la mer, mais le vide aussi, et la couleur du deuil dans certaines cultures. Un blues céleste, un chant de deuil donc. Plus curieux et « amusant », les titres de l’album, sonnant d’abord comme une déclinaison autour des thèmes évocateurs de l’album, sont quant à eux des clins d'œil au synthétiseur analogique virtuel « Acces Virus ». Celui-ci eut en effet une influence majeure sur la musique électronique (IDM et EDM) au début des années 2000. Premiers indices d’un hommage simultané au vivant et aux machines…

Le premier morceau, justement nommé « Labyrinth », porte bien son titre comme porte d’entrée dans son univers tortueux, dédaléen dès les premières vibrations de fréquences, bien qu’installant une atmosphère pure, aérienne et oxygénée.

« Darklite » fait par la suite entrer des sonorités plus appuyées, laissant le champ libre à des basses et percussions plus oppressantes, mais également à des passages vocaux à la fois épurés et légèrement voilés.

Le morceau « Topaz », oscillant plus vers la drum’n’bass, offre une danse toujours quelque peu aérienne, entre notes délicates au compte-goutte parmi les percussions qui nous guident quant à elles de plus en plus vers des inflexions plus terrestres.

« Silk » et « Arctic » nous font progressivement atterrir, entre bruits métalliques, pluie diluvienne et sons maritimes. Dès le morceau suivant, « Blade », c’est un univers plus sombre, océanique, voire sous-marin, qui se déploie. Le chant épuré refait son apparition dans « Elysian Heights », dans une sorte de paix « élyséenne », bien plus voilé cependant, comme aquatique. La production donne en effet par moment cette impression d’immersion totale ou partielle sous l’eau, comme en apnée.

« Freefall » nous refait basculer dans une ambiance lourde, tout en cliquetis de machines, drones et basses de synthé inquiétantes greffées sur des percussions rapides. L’impression de s’enfoncer dans les abysses oppressantes coupe court aux envolées plus célestes des premiers morceaux.

« Bird Strike », enfin,  tout à l’inverse de son titre, est une conclusion plutôt paisible, qui transitionne pourtant dans les dernières secondes vers des fréquences angoissantes, entre bruit plaintif de machinerie, moteur de navire ou encore d’animal marin. Un final tout en tension.

Azure est un album rêveur, réfléchi et sensible, susceptible de plaire aux amateurs d’albums cohérents orbitant autour de thématiques et de couleurs sonores singulières. Il offre une expérience introspective, sensitive, immersive : SKY H1 propose sa propre cartographie du ciel et de la mer. Mais modestement, sans prétention de révolutionner le genre musical. On entend un peu des débuts d’Aphex Twin dans l'émotion et la poésie sillonnant les notes synthétiques émises par les machines, ainsi que certains motifs. Un hommage aussi, par extension, à ces types de sonorités électroniques propres aux années 90.

Ce premier album installe néanmoins bel et bien la musicienne comme une des meilleures promesses de la scène électronique et ambient belge.

Même rédacteur·ice :

Azure

de SKY H1
AD 93, 2021
43 min