Assis peu confortablement sous cette tente rouge, retour aux essentiels de la représentation théâtrale ; que faut-il de plus, après tout ? Le Circus 68 de François Sikivie, Claude Semal et Charlie Degotte nous embarque dans le récit burlesque de cette fameuse époque subversive.

La contestation est partout. Avant tout dans les réactions que l’on pourrait désormais qualifier de « scolaires », tant certains élèves deviennent prévisibles lorsque enfermés dans une salle de spectacle, ils ne maîtrisent plus leur propre présence. Les murmures se transforment en dialogues, les petites blagues entre pairs finissent en rires aigus ; par réaction au burlesque et autres exagérations dramatiques, soit l’attention les avait passivement quittés, soit leur esprit de contradiction s’était activement éveillé. Dans les deux cas, ces élèves ont présenté une forme de contestation, de refus de l’ici et maintenant, ce qui, selon les règles de bienséance, sera vivement rabroué par les bien-pensants, mais qui finalement, correspond pleinement à l’esprit 68. Ces codes ne sont pas les leurs, ce burlesque n’est plus celui qu’ils connaissent et apprécient, Circus 68 aurait un potentiel comique pour les initiés, pour ne pas dire les « plus vieux ».

Comment leur donner envie et intérêt pour cette pièce, menée de bout en bout avec passion ? Peut-être en leur signifiant justement que Circus 68 est une affaire passionnée et pédagogique, de personnes qui veulent nous faire vivre leur Mai 68 ? Et cette passion a la force suffisante pour piquer notre curiosité, c’est en cela que le spectacle, généreux et dynamique, nous touche, nous. Se laisser porter par les émotions qu’on nous propose, la forme et les manières à part.

L’affiche.

Qu’on nous propose ou qu’on nous impose ? Après tout, la bienséance n’essaie-t-elle pas de nous imposer cette passion ? De nous obliger à « penser comme », à adhérer à une certaine vision des choses ? Rappelons-nous qu’« il est interdit d’interdire », et que « le bonheur est dans la contestation ». D’où l’ambigüité de la pièce, qui en milieu de récit, nous invite (ou nous force ?) à endosser les rôles caricaturaux du gauchiste et du communiste de l’époque. Encore une fois, la raison va aux élèves récalcitrants, pourquoi devrions-nous adopter une posture politique qui n’est pas la nôtre, dans un contexte qui nous est imposé ? Là encore, il y a des raisons de contester. Et pourtant, l’enjeu dramatique y est important. « Le théâtre participatif, ça fait tellement esprit 68. » Devons-nous donc nous laisser berner par le drame, par les diktats de l’institution dramatique, en nous livrant, par dépit ou par réflexe, à l’obstination des comédiens et à l’autorité du théâtre ?

Hommes d’âges mûrs1, Semal et Sikivie refusent l’avilissement et réussissent à rendre les événements palpables, dans un burlesque dynamique, touchant et créatif. Leurs corps donnent du relief au récit, ils représentent à la fois le vécu possible et le plaisir du souvenir ; ils reproduisent avec énergie tant la révolte violente et que la renaissance réjouissante. Une manière physique et visuelle de contester le temps qui passe, et une posture qui dévoile ses charmes tout au long du récit.

Le Circus 68.

Ce cirque devient donc une métaphore. Tout, à l’époque, était apparemment mélangé ; les émotions primaires et les lentes réflexions politiques ; le bonheur de bousculer, voire de renverser les idées reçues, et la violence pour y arriver ; 68 résonnerait aujourd’hui comme un tumulte lointain, dont on ne percevrait plus que le désordre et l’agitation. Circus 68 porte donc bien son nom.

Transformons les théâtres en bastions, écrivons nos propres pièces, imposons-leur notre souffle de spectateur… Soyons réalistes, demandons l’impossible. Et je cesserai ici de contester l’incontestable : Claude Semal, François Sikivie et Charlie Degotte ont très agréablement égayé le fantasme soixante-huitard.

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Circus 68

Écrit et joué par François Sikivie et Claude Semal
Mis en scène par Charlie Degotte
Sons de Guillaume Istace
Mis en costumes par Pascale Vervloet

Vu le 22 mai 2018, pendant l’événement « le Village de la contestation », au Théâtre de Poche.


  1. Je prends, à l’aide de pincettes, toutes les précautions possibles.