Échos du
KFDA 2017 #2
30 mai 2017 par Salomé Frémineur dans Scène | temps de lecture: 4 minutes
Itinéraire dans le Kunstenfestivaldesarts 2017, à la recherche des manières de représenter ce qui ne peut se dire. Partie II : Tarek Ataoui, Mette Edvardsen et Begüm Erciyas.
Le pouvoir que les mots acquièrent ou perdent quand ils sont répétés, la communication sans parole ou la parole sans communication : ces thèmes, qui se sont dessinés dans leur dimension politique dans les œuvres décrites dans la première partie de ce panorama semi-arbitraire, ont résonné dans d’autres créations du Kunsten 2017.
Que deviennent les mots, les phrases, quand ils sont répétés ? Telle était la question qu’il nous restait après Empire, de Milo Rau. Le projet Time has fallen asleep in the afternoon sunshine, de Mette Edvardsen, en offre une approche oblique. Sa proposition : des livres vivants, c’est-à-dire des performeurs qui, parfois depuis des années, ont appris par cœur des livres qu’ils récitent à des lecteurs-auditeurs. Oui, comme dans Fahrenheit 451.
Ici, on n’est pas (vraiment) au théâtre : l’expérience est individuelle. Une lecture, c’est entre le lecteur et son livre, vivant comme papier. On a le droit d’interrompre, de choisir où on se met, et aussi, grande frustration, on ne peut pas tout lire, il faut en choisir un, en fonction des disponibilités. Mon livre, c’est Bartleby, l’histoire d’un scribe, dont le métier est justement de copier à l’identique, mécaniquement. Un jour, il n’en veut plus, « [he] would prefer not to ». Mais la répétition n’est pas (toujours) une copie : mon livre incarne Bartelby depuis des années maintenant. Elle m’explique qu’après avoir été lue-écoutée par des centaines de lecteurs-auditeurs, elle considère la version originale comme celle qu’elle dit, avec ses possibles altérations. Après avoir recouché par écrit sa version, copie à des années de distance, elle n’a pas voulu se reporter au texte officiel. Les réécritures opérées ici portent les traces de la lecture comme processus – la répétition comme vie du texte, pourrait-on dire pour faire signe vers le théâtre.

À l’opposé, avec Voicing Pieces, Begüm Erciyas propose à chacun de partir d’un écrit pour se concentrer sur la pure voix. Dans la magnifique église des Brigittines, on s’isole dans trois bulles successives, tout de tissu et papier mâché. Un casque sur les oreilles, on lit un texte, ou plutôt des mots, des phrases. Notre voix nous revient tantôt directe, tantôt en écho, déformée, aiguë ou grave, bref, étrangère. C’est presque le plus bizarre : savoir qu’à moins d’un algorithme très puissant, un technicien doit bien écouter nos vocalises absurdes. C’est lui qui, depuis l’ailleurs, nous renvoie cette voix qu’on est supposés connaître intimement. Bonjour, qui est-ce ? C’est vraiment moi qui parle comme ça ? L’expérience est ici purement solitaire. Elle est aussi ancrée dans l’instant : alors que les livres vivants s’inscrivent dans le temps, se faisant ainsi textes, touchant à l’écriture, l’expérience de la voix se vit à un seul moment.
Within se présente en miroir inversé : Tarek Ataoui crée des instruments de musique pour personnes sourdes, qu’on peut expérimenter dans l’exposition ou entendre/voir/sentir en concert, c’est-à-dire des expériences collectives. L’objectif est aussi de créer un espace de communication par-delà la barrière entre entendants et non-entendants : il se construit autour des vibrations et des mouvements, c’est-à-dire du corps plutôt que du langage – j’y vois comme une continuation du Moindre geste. Je prends part à une visite par une guide sourde et avec une visiteuse malentendante. Son visage s’illumine lorsqu’elle peut sentir les vibrations, non pas moins bien que tout le monde, mais aussi bien, voire mieux, me laissant le souvenir d’un moment d’une rare grâce.
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Within
Imaginé par Tarek Atoui
Joué par
– Le 5/05 : Mats Lindström, Jean-Luc Fafchamps, Kobe Van Cauwenberghe, Jean-Michel Pancin, Isabelle Dierkens, Anne Clossen ;
– Le 12/05 : Zoe McPherson, Dejana Seculic, Erik Heestermans ;
– Le 19/05 : Raed Yassin, Karen Willems, Thierry Madiot ;
– Le 26/05 : Carlo Siega, Glenn Marzin, Giulia Silvestri, Christophe Albertijn.
À Rosas, au BOZAR et au Wiels.
Voicing Pieces
Réalisé par Matthias Meppelink et Begün Erciyas
Manipulé en direct par Julia Krause, Niels Bovri, Begüm Erciyas, Marc Melià, Eric Desjeux
Construit par Tim Vanhentenryk, Lena Buchwald, Barbara Greiner
Vu aux Brigittines pendant le Kunstenfestivaldesarts 2017
Time has fallen asleep in the afternoon sunshine
Création graphique de Michaël Bussaer
Scénographié par Helga Duchamps
Avec Alexandra Napier, Bruno De Wachter, Caroline Daish, David Helbich, Elly Clarke, Irena Radmanovic, Johan Sonnenschein, Katja Dreyer, Kristien Van den Brande, Lilia Mestre, Mari Matre Larsen, Marit Ødegaard, Mette Edvardsen, Moqapi Selassie, Philip Holyman, Rhiannon Newton, Sarah Ludi, Sébastien Hendrickx, Sonia Si Ahmed, Tiziana Penna, Vincent Dunoyer, Wouter Krokaert, Victoria Perez Royo, Jeroen Peeters, e.a.
Vu pendant le Kunstenfestivaldesarts 2017
L'auteurSalomé Frémineur
Doctorante en philosophie, j'écris ici sur les livres et la scène et je lutte avec ma tendance à faire une utilisation forcément abusive du tropisme « tout est politique ».Salomé Frémineur a rédigé 24 articles sur Karoo.
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