critique &
création culturelle
Des enfants à l’opéra pour un trait d’union entre le passé et le présent

Fin octobre, beaucoup de familles avec de jeunes enfants ont pénétré pour la première fois dans ce lieu majestueux qu’est le nouvel Opéra royal de Liège pour voir Brundibár . Un opéra porté entièrement par des enfants pour un public de 7 à 77 ans. Retour sur une surprenante soirée.

Brundibár , c’est le titre d’un opéra créé en 1938 par le librettiste Adolf Hoffmeister et le compositeur tchèque-allemand Hans Krása. En tchèque commun, « Brundibár » désigne un bourdon et dans cette pièce il s’agit d’un personnage de méchant, un joueur d’orgue de barbarie tyrannique qui empêche deux jeunes enfants de gagner de l’argent pour soigner leur mère malade. L’opéra se conclut par la victoire des démunis solidaires sur un tyran égoïste, mais ne fait pas directement référence au contexte historique de la Deuxième Guerre mondiale.

Cet opéra est entré dans l’Histoire de façon très particulière… Il a été interprété pour la première fois le 23 septembre 1943 par des enfants déportés et représenté plus de cinquante-cinq fois. La première a eu lieu à Theresiendstadt, vitrine des camps de concentration nazis pour le monde extérieur. Ce « faux » camp servait à prouver que les prisonniers étaient bien traités et ce, pour démentir les rumeurs sur la solution finale. Derrière l’apparence que voulait lui donner les soldats allemands, il était utilisé comme camp de transit. La majorité de ses occupants ne faisait qu’y passer avant d’être transférés à Auschwitz ou dans d’autres camps de concentration ou d’extermination. C’est donc dans ces conditions horribles que Brundibár a été représenté : seize enfants, un petit orchestre, quelques cageots et des panneaux peints pour tout décor. L’opéra tombe dans l’oubli avec la mort de son compositeur Hans Krása en 1944, avant d’être ressuscité une première fois dans un très bel album jeunesse par Kushner et Sendak en 2003.

Septante ans après cette fin tragique, Brundibár trouve un autre souffle grâce au talentueux directeur musical Patrick Leterme . Tout en dirigeant de main de maître la troupe d’enfants, il joue en alternance du piano et de l’accordéon durant la représentation. Il est accompagné par son orchestre composé des mêmes instruments présents lors des représentations de 1943 dans le camp : violons, violoncelle, contrebasse, flûte, clarinette, trompette, guitare et percussions.

Des musiques teintées de jazz des années 1930 accompagnent le chœur de dix-huit enfants. Ces derniers évoluent dans un décor fait de simples cageots qui, par des petites manipulations, nous fait passer par différents lieux. Ils ont entre neuf et treize ans et nous offrent un spectacle épatant. Malgré une diction et un volume sonore parfois à améliorer, la prouesse artistique est assurée par l’ensemble de la troupe. Le jeu dynamique et la vivacité des jeunes comédiens sont valorisés par une mise en scène originale et sobre. Ils offrent ainsi de belles respirations qui allègent de temps en temps l’intensité du thème.

L’une des forces de cet opéra reste le dialogue permanent entre l’orchestre et les chanteurs sur scène, le premier répondant aux mouvements sonores des seconds. Comme si les acteurs voulaient rendre hommage au passé devant un public qui est un témoin privilégié, ensemble dans une sorte d’adversité contre l’ennemi qu’était le nazisme. À noter que Brundibár a fait le tour de la région wallonne dans le cadre du Festival de Wallonie . Créé à Flagey (Bruxelles), il reviendra y finir sa route le 23 novembre au Studio 4.

Et pour ceux qui n’auraient pas le temps d’aller voir l’opéra, il reste deux publications de référence. En 2003, Tony Kushner et Maurice Sendak ont réalisé une adaptation sous la forme d’un album jeunesse, Brundibar , publié à L’École des loisirs. Il existe aussi un livre sonore, Brundibar, un opéra de Hans Krása , adapté par Chantal Galiana avec les illustrations de Bertrand Bataille, chez Gallimard Jeunesse.

Même rédacteur·ice :

Brundibár
Mise en scène de Vincent Goffin
Direction musicale de Patrick Leterme
45 minutes