critique &
création culturelle
KFDA 2016
MeyoucycleCyber Opéra Rock

Dernier papier sur le Kunstenfestivaldesarts. Salomé évoque le travail d’Eleanor Bauer et de Chris Peck, qui nous embarquent dans une comédie musicale ésotérique et super léchée sur la médiation technologique.

Ordinateurs sur nos bureaux, tablettes dans nos sacs, téléphones intelligents dans nos poches : nous avons pris l’habitude de vivre entourés de ces « assistants personnels » qui grignotent de l’espace dans nos vies. Quelles transformations opèrent-ils sur nous, sur nos quotidiens, sur nos relations ? C’est la question posée dans Meyoucycle .

La version catastrophiste nous dépeint comme une génération rendue débile par la dictature du court, de l’efficace et par la course au like . Nous serions devenus des machines à cliquer incapables de construire des raisonnements de plus de 140 signes. Meyoucycle pointe en effet la difficulté à se concentrer sur quelque chose plus de cinq minutes lorsque l’on est constamment sollicité par des notifications et ironise la philosophie de vie des sachets Yogi Tea™.

Le spectacle aborde surtout la manière dont le capitalisme, grâce au numérique, s’insinue partout. On sait à quel point les données que nous échangeons sur des applications propriétaires et sur nos téléphones Google ou Apple sont précieuses parce qu’elles permettent de vendre. « Je ne pouvais pas liker sans potentiellement travailler pour quelqu’un. », constate un personnage.

« D’elle à nous, d’eux à moi, Eleanor Bauer nous dit ses espoirs et ses craintes pour la communauté. » nous explique Guillaume Rouleau, de

Comment dès lors s’échapper du système ?

C’est là que Meyoucycle devient fiction, évoquant un futur proche où nous aurions été digérés par le capital et l’Internet. Il reste alors une issue : l’anonymat, l’obscurité, la poésie. Le titre, « Meyoucycle », « moi-toi-cycle » évoque la crypto-mystique, qui apparaît dans le spectacle comme idéologie du refus.

« Meyoucycle », c’est aussi « musical », c’est-à-dire « comédie musicale » dans un anglais aussi bizarre que ladite comédie musicale est inattendue : elle mêle danse, chant, musique, mais voilà bien sa seule parenté avec ce qu’on attend des productions du genre. Conçu par la chorégraphe et performeuse Eleanor Bauer et par le musicien compositeur Chris Peck, interprété par l’ensemble bruxellois Ictus et par quatre excellents performeurs/danseurs/chanteurs, le spectacle se distingue par sa qualité formelle. Les textes, denses, touffus, sont aussi fascinants qu’ils sont parfois opaques. Le reste est à l’avenant. La lumière est particulièrement léchée : l’essentiel de la représentation se déroule dans une obscurité que ne viennent percer que quelques rais de lumières, des ampoules nues et surtout la lueur des écrans.

« Meyoucycle » se comprend « moi-toi-cycle » et peut se lire « musical ». « (…) Mais le texte à jet continu de la pièce a des airs de prêche (…) » nous dit Sabrina Weldman sur

Encore une fois, il s’agit d’un spectacle très intéressant, esthétiquement réussi, mais qui manque peut-être d’un petit geste vers le spectateur un peu largué. J’ai pourtant passé un bon moment, accrochée par le rythme et les danses de cette espèce de tribu post-cyber. J’ai aussi apprécié que, derrière la critique féroce de la numérisation et de la marchandisation des moindres parcelles de nos vies, filtre l’idée qu’une culture et une expression restent possibles.

Même rédacteur·ice :

Meyoucycle
Mis en scène par Eleanor Bauer et Chris Peck , avec GoodMove et Ictus
Chorégraphie de Eleanor Bauer, en collaboration avec les performeurs
Musique de Chris Peck, en collaboration avec les performeurs
Avec Eleanor Bauer, Inga Hákonardóttir, Tarek Halaby, Gaël Santisteva, Gerrit Nulens
Vu le 27 mai 2016 au Kaaitheater lors du Kunstenfestivaldesarts 2016.

Sur le site de la compagnie GoodMove :
« Meyoucycle (me-you-cycle) is a political science fiction fantasy concert about expression in the age of hyper-capitalism and technological mediation. Personal ads and old-school letters, chat-bots, tweets and untameable rants, poetic terrorism, sound and image collide in a rumination on contemporary and near-future life and the intense forces and interfaces that shape it. »

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