critique &
création culturelle
Photographie en Condroz
S’accorder un décor

Pour sa huitième édition, la Biennale de la photographie en Condroz donnait la possibilité aux promeneurs et amateurs d’images de Rêver tout le mois d’août, à Marchin et à Tahier. Une expérience singulière, jouant avec le cadre d’exposition, s’autorisant une conversation vive avec l’environnement champêtre.

Il est des rendez-vous estivaux qui me sont devenus chers. Des appels d’air essentiels qui me font sortir la tête de la bibliothèque, la pensée des rails chargés en glu extra-forte. Parmi eux, l’initiative qui, depuis 1994, voit tous les deux ans des villages du Condroz – Marchin et un de ses voisins-satellites, chaque fois différent – se transformer en itinéraire iconographique buissonnier a acquis une place à part.  Il s’agit bien là de Rêver , c’est vrai, mais pas uniquement face aux œuvres sélectionnées.

Qui sont ces habitants qui acceptent d’entrouvrir leur chez-soi – jardin grandiose, maison en pierres de pays, ancienne gare, etc. – pendant quelques week-ends aux visiteurs ? Qu’est devenue Louise, onze ans, dont le musée de paléontologie amateur laissait voisiner os d’oisillons garnis de cartels et chromos, pour mon plus grand ravissement ? Quelle peut être la vie de ces fermes, de ces églises, hors-saison ?

Au fil des éditions et des thèmes (précédemment l’utopie, l’adolescence, Oui , ou Au plaisir ), au-delà d’accrochages soignés et de découvertes indéniables, ce sont également le territoire, l’accueil, et ce dialogue implicitement instauré avec un patrimoine et une communauté qui m’ont estampillé durablement la rétine. C’est à partir de cet in situ – tour à tour familier ou rendu exotique – qu’a également pu explorer le collectif La Kabane , missionné expressément.

Belgique, Marine I, Huy, 2001. © Alexandre Christiaens.

C’était encore le décor d’origine proposé à des stagiaires adolescents encadrés par Sarah Joveneau et François Struys et amenés à explorer eux aussi le thème Rêver ou à des photographes amateurs aiguillés par Alexandre Christiaens et Emmanuel De Meulemeester en vue de la réalisation d’un premier livre photo d’auteur.

Le promeneur qui débutait sa déambulation à la cure du Centre culturel de Marchin était quant à lui happé dans une bulle propice à l’observation fine : un cabinet de curiosités assemblé par Emmanuel d’Autreppe, Françoise et Paul Guilmot et Jacky Lecouturier . Bourrée à craquer d’images – photos de familles, portraits de marins ou messieurs endimanchés –, de collages, de négatifs apposés sur la vitre pour laisser filtrer la lumière, de cartes postales drolatiques ou célébratoires et d’objets étonnants, cette pièce générait autant un sentiment d’émerveillement que de vertige et créait une bonne mise en pupilles pour aborder la diversité de travaux qu’offrait le parcours en quatorze étapes.

J’ai choisi de vous présenter cinq des photographes exposés, libre à vous de prolonger au-delà la découverte, en consultant notamment le site de la Biennale .

© Jean-François Flamey.

Jean-François FLAMEY

« Tout ce qui tremble est vrai », chante Arlt dans Une sauterelle (dessinée par un fou) . Il y a, c’est juste, dans les images de Jean-François Flamey cette véracité trouble et captivante qu’offrent seules les heures entre chien et loup. On ne s’étonnera pas que ce passionné de paysages sonores traversés d’infimes soubresauts ait aussi voulu, depuis le début des années 2000, glaner aussi avec grâce les rhizomes accidentels de la matière pixellisée. Qu’elles soient en noir et blanc, en couleurs ou sur support Polaroid, Nim is a tree (son nom derrière la lentille) donne aux images l’opportunité de vies palimpsestes, la chance de se réécrire une fois broyées, attaquées par les couacs ou lavées par les eaux. Aux fantômes de s’accorder une trace dans le cadre. Aux fêlures généralement évacuées de faire partie de la narration. À Marchin, il a posé ses malles dans la demeure de monsieur et madame Chapelle (1896 et « autrefois un magasin où on servait la goutte »), tissé avec leurs murs un dialogue de lichen et agrémenté l’espace d’exposition d’une bande-son dans laquelle il nous a plu et paru évident de retrouver les térébrants Oiseaux-Tempêtes , eux aussi férus d’images qui vibrent. Il a aussi parcouru les sentiers condruziens une fois le jour tombé, faisant résidence improvisée au fil d’août chez ses hôtes. En a découlé la série Waiting for the Night , façon pour le photographe de rester en mouvement, en « acte ». Son premier livre, Non-Dits , vient de paraître dans la collection Angles vifs chez Yellow Now . Nous vous le recommandons vivement !

Sian DAVEY

Sian Davey, née à Brighton, a une formation de psychothérapeute et vit désormais dans le comté de Devon avec sa famille. Lorsqu’elle était enceinte de sa fille Alice, le corps médical lui a annoncé, sans guère d’empathie, que son bébé avait une chance sur trente d’être atteinte de trisomie 21. Ce diagnostic posé, quasi sans appel, n’a aucunement été adouci par davantage de considération pour l’enfant – réduite à une défaillance statistique de la pratique médicale, à une condition –  de la part du personnel soignant à la naissance. Pour cette mère, il s’est alors agi de dépasser le syndrome, d’apprivoiser sa fille telle qu’elle était : une petite personne, avec ses humeurs, sa façon de réagir, ses émotions pas différentes des nôtres. La photographier dans le microcosme familial a fait partie de ce chemin relationnel à construire ensemble. Looking for Alice pourrait s’envisager comme le passage de l’enfant rêvé à l’enfant réel. Qu’on soit d’accord ou non avec cette interprétation, la série – des portraits individuels ou de groupe mais où Alice et ses moments d’introspection restent centraux – s’avère extrêmement émouvante.

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