Ce qui nous paraîtrait ailleurs anodin nous dit déjà quelque chose non seulement d’elle, mais aussi d’inhérent à son travail : la luminescence singulière et le goût du détail.

Est-ce parce qu’elle a adopté le moyen format (à l’origine, 6 x 6 argentique), parce que ses images tirent leur poésie du quotidien, de micro-événements – là, les corolles claires de cosmos sur bleu presque irréel, ici la goutte de lait qui perle sur le menton grassouillet d’un tout-petit aux yeux qui avalent le jour, ailleurs encore une fillette qui prélève avec son épuisette un minuscule poisson d’un bassin où ses semblables grouillent – il viendrait presque à l’esprit que Kawauchi préfigure une certaine idée d’Instagram.

Surgissent alors, sous les grappes de félicité nacrées de son travail, quelques scories. Un verre brisé au sol. Un garçonnet le torse nu couvert de mouches. Une silhouette fantomatique qui semble coincée sous un voile. Le corps d’un daim écrasé sur le bas-côté d’une route. Une sensation étrange et vrillante comme chez sa compatriote Yoko Ogawa.

Et puis cette vignette à laquelle nous revenons sans cesse, tantôt horrifiés par la scène, tantôt happés par sa gamme inouïe de roses. Sur une bordure maçonnée à carrelages blancs, trois cous de volailles pendouillant après le coup de grâce. Celui qui émerge du flou est-il le  poulet no 728120 cher à Katerine  ? Le sang qui coule du bec est-il fait des mêmes globules que celui qui macula le tailleur bonbon Chanel de Jackie Bouvier Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas ? Est-on davantage bourreau ou victime après avoir absorbé longuement cette image ?