Adieu sauvage
Retour aux sources
Lorsqu’il se rend en Colombie, son pays de naissance, pour se documenter à propos des vagues de suicides qui frappent le peuple des Cacuas, Sergio Guataquira Sarmiento est loin de se douter du voyage qui l’attend. Au fil de ses rencontres, le réalisateur se trouvera à faire un second voyage, plus introspectif : celui à la recherche de ses origines et de la découverte des traditions de ses ancêtres. Une immersion totale dans un monde où l’on se bat pour ne pas se faire oublier.
C’est en s’intéressant aux vagues de suicides qui frappent les communautés autochtones amazoniennes que Sergio Guataquira Sarmiento a eu l’idée de réaliser ce qui deviendra son premier long-métrage, Adieu Sauvage. C’est donc au travers d’un documentaire, dans lequel il se filme, qu’on suit ses interactions avec les Cacuas. Au fil des évènements, une voix-off, celle du réalisateur, nous raconte les états d’âme qui l’ont traversé durant cette période, afin de nous confier ses moindres ressentis, craintes, et appréhensions.
Ce sujet l’a d’autant plus intéressé car il explique être « un descendant de communautés amérindiennes qui ont été décimées ». C’est donc chez les Cacuas, un peuple autochtone de Colombie, que le réalisateur pose le cadre d’un voyage vers ses propres racines.
Rapidement, un constat s’impose à lui lorsqu’il arrive chez les Cacuas : comment se fondre parfaitement dans un groupe lorsqu’on est perçu comme un étranger, un visiteur ? Malgré un accueil cordial, il remarque rapidement qu’il devra gagner leur confiance et prouver qu’il n’est pas simplement venu les « observer », comme des journalistes ou des anthropologues ont pu le faire avant lui.
Pour ce faire, il décide de se plonger dans leur mode de vie et de devenir un membre du village à part entière. Et c’est là que se situe une de premières forces du documentaire : l’humilité de son réalisateur. Jamais il ne cherche à s’imposer, ni à créer une quelconque mise en scène. Ici, tout est brut, à fleur de peau, sincère.
Cette humilité est d’ailleurs parfaitement montrée lorsqu’il essaye d’aider dans les différents rôles qu’on lui attribue, que cela soit dans la forêt avec les hommes ou au sein du village avec les femmes. Le réalisateur explique d’ailleurs : « Ils ne m’ont pas trouvé très utile et ont fini par décider que c’est en tant qu’entraîneur de foot de leur équipe féminine que je serais le moins embarrassant ». Une décision qui finit par porter ses fruits, car grâce à ses enseignements et entraînements, les femmes remportent un match lors d’une rencontre se déroulant en ville.
En choisissant de montrer volontairement son incapacité à aider correctement au bon fonctionnement du village, Sergio Sarmiento se met à nu, dévoile ses faiblesses. En aucun cas il ne s’impose comme quelqu’un pour qui tout serait simple et inné. Cette non-envie de montrer une quelconque supériorité se traduit également dans sa façon de filmer : la caméra n’est jamais trop haute, elle est à hauteur d’oeil, à hauteur d’humain. C’est particulièrement frappant lorsque, durant une scène avec des enfants courant dans la jungle, la vue est à leur niveau, comme s’il voulait que le spectateur devienne lui-même un de ces enfants.
De plus, ce choix de cadrage s’accompagne d’un noir et blanc photographique tout en pureté, donnant un parfum de nostalgie à cette partie de la Colombie vouée à disparaître : que cela soit la déforestation ou le changement climatique, de nombreux peuples vivant dans les parties sauvages d’Amérique du Sud voient leurs habitats disparaître au fur et à mesure que les années passent.
Pour justifier ce choix du noir et blanc, Sergio Sarmiento a déclaré : « Pourquoi choisir la couleur si elle ne donne aucune information nécessaire. Une autre raison importante est que la couleur en Amazonie a souvent été un déclencheur d’exotisation. On voulait retirer cet élément de la jungle pour proposer une lecture plus neutre. »
Au-delà de son esthétique et de son côté immersif, le film interroge son spectateur sur plusieurs thématiques, notamment sur le rapport à la transmission des coutumes et comment ces dernières disparaissent en même temps que le monde avance. Lors d’une conversation avec un des hommes du village, ce dernier explique qu’à son époque, les noms de chacun et chacune apparaissaient lors d’un rituel chamanique. Seulement, cette tradition ne s’applique plus depuis la disparition des chamans. Cet échange met en lumière l’inexorable changement du monde, et des pratiques et savoirs ancestraux qu’il balaie avec lui.
Cette transmission, justement, peut parfois se heurter à l’envie de vivre une autre vie. Lors d’une scène où il pêche avec le fils de Laurenao, un des intervenants principaux, le réalisateur explique au travers d’une voix off : « Alors que j’essaye de faire tout comme eux, le fils aîné de Laurenao, essaye de faire tout comme moi. Il aimerait télécharger les mêmes applications que moi sur mon téléphone, s’inscrire sur le même réseau social que moi. Il refuse catégoriquement de vivre sa vie ici ». Que faire lorsque l’on vit coupé du monde et avec un mode de vie qui ne correspond pas à ce que l’on aimerait ? Faut-il rester et perpétuer des traditions, quitte à le faire contre son gré, ou bien s’envoler et vivre une existence dans une société interconnectée ?
Au fur et à mesure que le film avance, on constate que le sujet des pendaisons, pour lequel il était venu initialement, est relégué au second plan. Son voyage se transforme rapidement en une sorte de quête initiatique sur ses origines indiennes, et sur sa volonté d’en apprendre plus sur le mode de pensée et de vie de ses ancêtres. Il ne cesse d’interroger, d’observer, d’étudier. Comme s’il voulait vivre une existence qu’il aurait manquée.
Cette transmission, justement, peut parfois se heurter à l’envie de vivre une autre vie. Lors d’une scène où il pêche avec le fils de Laurenao, un des intervenants principaux, le réalisateur explique au travers d’une voix off : « Alors que j’essaye de faire tout comme eux, le fils aîné de Laurenao, essaye de faire tout comme moi. Il aimerait télécharger les mêmes applications que moi sur mon téléphone, s’inscrire sur le même réseau social que moi. Il refuse catégoriquement de vivre sa vie ici ». Que faire lorsque l’on vit coupé du monde et avec un mode de vie qui ne correspond pas à ce que l’on aimerait ? Faut-il rester et perpétuer des traditions, quitte à le faire contre son gré, ou bien s’envoler et vivre une existence dans une société interconnectée ?
Au fur et à mesure que le film avance, on constate que le sujet des pendaisons, pour lequel il était venu initialement, est relégué au second plan. Son voyage se transforme rapidement en une sorte de quête initiatique sur ses origines indiennes, et sur sa volonté d’en apprendre plus sur le mode de pensée et de vie de ses ancêtres. Il ne cesse d’interroger, d’observer, d’étudier. Comme s’il voulait vivre une existence qu’il aurait manquée.