Amélie et la Métaphysique des tubes
Retour en enfance entre éveil et déracinement

Amélie et la Métaphysique des tubes est une adaptation animée du roman éponyme d’Amélie Nothomb, paru en 2000, signée Maïlys Vallade et Liane-Cho Han. Un point de vue inédit sur l’éveil d’une jeune enfant, sublimé par l’utilisation de la couleur narrative.
Le premier élément qui marque, ce sont les couleurs à l’écran. Saturées, presque fluorescentes, les teintes qui portent Amélie et la Métaphysique des tubes rappellent cet émerveillement constant de l’enfance. En se concentrant sur les trois premières années de vie de Amélie Nothomb, le film nous place à hauteur d’enfant. Il s’agit d’une autofiction, un genre qui brouille les pistes et mélange éléments autobiographiques et fictifs.
Amélie naît dans une famille de diplomates installés au Japon. Cadette d’une fratrie de trois, elle est aussi mutique que son frère et sa sœur sont déchaînés. Amélie, elle, ne parle pas, ne bouge presque pas, et sa voix-off nous fait comprendre qu’elle se considère comme une entité divine qui observe le monde des mortels sans y prendre part. Submergés par l’énergie de ses frères et sœurs, les parents Nothomb appellent à la rescousse la grand-mère paternelle des enfants. Cette dernière va bouleverser le quotidien de la petite dernière en la sortant de son cocon. Grâce à un bout de chocolat blanc ramené de Belgique, Amélie quitte son état végétatif et entre dans le monde des sensations physiques, des émotions.
Amélie et la Métaphysique des tubes nous invite à découvrir un véritable récit de l’éveil. À travers ses yeux d’enfant, nous réapprenons à découvrir les aliments, ou encore le passage des saisons, sublimé par le luxuriant jardin japonais de la famille Nothomb. Une fois la grand-mère repartie en Belgique, les parents reçoivent l’aide de Nishio-san, une jeune femme envoyée par la propriétaire des lieux, Kashima-san. La propriétaire voit d’un mauvais œil ces enfants occidentaux qui malmènent sa maison traditionnelle.
Amélie va trouver en Nishio-san, avec qui elle passe ses journées, une figure maternelle et amicale. La jeune femme lui apprend le folklore japonais, les coutumes et la langue. À son contact, la petite fille, auparavant renfrognée et grognon, entame une transformation et devient enjouée et curieuse, ce qui n’est pas du goût de Mme Kashima.

La couleur narrative au service du récit
La seconde thématique du long-métrage, introduite à l’écran par le départ de la grand-mère puis celui de Nishio-sans, est le déracinement. Si la famille vit dans l’opulence et ne manque clairement de rien, les enfants Nothomb grandissent loin de leur famille dans un pays qui ne sera jamais le leur. Lorsque Nishio-san s’éloigne des Nothomb, c’est à hauteur d’enfant que l’on comprend la gravité des choses pour la jeune Amélie. Tout son univers est chamboulé, ne lui reste plus que sa famille proche, qu’elle a toujours considéré comme des étrangers.
Visuellement, les formes sont rondes, colorées et les ambiances lumineuses nous offrent un aller simple vers le pays du Soleil-Levant. Le film se déroule uniquement en français même lorsque les personnages japonais parlent, permettant ainsi aux plus petits d’éviter de lire des sous-titres. Chaque personnage possède une couleur qui influence l’ambiance lumineuse des plans : Amélie est verte, Nishio San est jaune, Kashima-san est un violet froid. Lorsqu’Amélie court dans le jardin et tombe sur la glaciale Kashima-san, le plan passe d’un vert chaud au violet glacial qui caractérise la propriétaire. Cette utilisation de la couleur narrative m’a réellement immergée dans le récit. Entre le premier chocolat d’Amélie, sa peur des carpes ou le festival des lanternes, la palette saturée, presque fluorescente à l’écran, m’a rappelé l’intensité des premières expériences vécues par les petits.
« Pour ce film, nous voulions des formes plus rondes, des couleurs plus texturées avec des effets plus pastels et jouer aussi avec les flous de proximité ou d’éloignement et la transparence» confient Maïlys Vallade et Liane-Cho Han au micro de France Inter. À la direction des décors couleurs, on retrouve la talentueuse Justine Thibault, épaulée de Simon Dumonceau. Cette dernière avait notamment travaillé sur les longs métrages Mars Express et Calamity. On retrouvait déjà dans ce dernier les tons pastels caractéristiques des décors d’Amélie.

Dans la production d’un film d’animation, le décorateur s’occupe de la création et mise en couleurs de tous les éléments immobiles du film. Pour atteindre une maîtrise suffisante de la composition et de la théorie des couleurs, ce dernier devra très régulièrement peindre des paysages d’après réel. Une technique populaire est la gouache qui possède de nombreux avantages, comme le fait d’être opaque, très diluable et relativement abordable.
Cette inspiration venue de la peinture en plein air est la preuve que la forme peut accompagner le fond sans pour autant lui faire de l’ombre. La couleur narrative offre une dimension supplémentaire au texte de départ, déjà sublimé par cette version animée du récit.. Amélie et la métaphysique des tubes est une ode poétique à la petite enfance et aux plaisirs simples. Une adaptation qui contraste avec la plume incisive si caractéristique de l’écrivaine, et permet à un public plus large d’entrer en contact avec son univers unique.