Amicalement vôtre
Enfant, je n’avais pas la télévision. Je veux dire : nous n’avions pas le câble. Mes parents n’en voulaient pas, alors nous ne recevions que la première chaîne nationale. Avec l’apparition du DVD à la fin des années 1990, mes parents ont préféré investir dans cette technologie nouvelle. Ils sélectionnaient ainsi les programmes que nous pouvions regarder. Leurs références en la matière étant les séries télévisées de leur jeunesse, j’ai vécu une enfance décalée. Mes copains de classe parlaient des Simpson et de Dragon Ball tandis je me passionnais pour les aventures de Simon Templar ou de John Steed et Emma Peel. Mes héros continuaient de faire vivre sur écran la ferveur des années 1960 et 1970. Et la télévision devenait plus dépaysante encore.
Mais de toutes ces séries d’une époque révolue, je marquais une nette préférence pour Amicalement vôtre . Sans doute que le duo formé par Roger Moore et Tony Curtis m’enchantait par leur désinvolture, leur repartie, leur amitié. Brett Sinclair, incarné par Roger Moore, représentait la classe anglaise ; Danny Wilde, sous les traits de Tony Curtis, figurait l’effronterie américaine. L’un, issu d’une riche famille aristocratique anglaise, et l’autre, self made man comme seul le rêve américain en crée, se complétaient à merveille. Seul point commun : une vie de rentiers désœuvrés leur permettant d’assouvir un goût prononcé pour l’aventure, la justice et les femmes. Brett et Danny poursuivent des bandits en Angleterre, en Suisse, à Paris, sur la côte d’Azur. Ils tombent des femmes superbes. Ils roulent en Ferrari ou en Aston Martin. Ils n’ont peur de rien. Ce sont des héros chics et décontractés. Ils m’impressionnaient.
À chaque fois le rituel était le même : l’épisode s’ouvrait par une scène intrigante, accompagnée d’une musique reconnaissable entre mille et l’on savait qu’on se trouvait dans un épisode d’ Amicalement vôtre . Puis surgissait le générique. L’écran se divisait en deux. On voyait l’évolution parallèle des personnages, depuis leur naissance jusqu’à leurs exploits de philanthropes. Le thème de John Barry enveloppait tout ça d’une légère mélancolie, parce qu’en une minute on voyait défiler la moitié de leur vie, parce que je regardais Amicalement vôtre le dimanche après-midi, parce que ce générique me rappelle mon enfance. Ça rend forcément mélancolique.
En France, la série devint très vite populaire. Le doublage effectué par Michel Roux et Claude Bertrand y joua pour beaucoup. Tony Curtis confia d’ailleurs trouver son doubleur français bien meilleur que lui. Comme celle de Roger Carel, lorsque j’entendais ces voix dans d’autres films, d’autres séries, je ne pouvais que les attribuer à Brett ou à Danny, qui ont fini par devenir des cousins éloignés. En revanche, aux États-Unis, la série ne connut qu’un succès mitigé. S’ajoutant à cela le départ de Roger Moore pour reprendre le rôle de James Bond, elle s’est arrêtée au bout d’une unique saison de vingt-quatre épisodes. J’ai alors dévoré tous les épisodes du Saint puis tous les James Bond. Roger Moore est devenu l’icône de mon enfance. Et c’est tant mieux comme ça.