Avignon 2019
Terre de divertissement où fleurissent les spectacles de stand-up, le festival d’Avignon n’en demeure pas moins un espace d’engagement. Retour sur des spectacles s’attaquant aux conditions de vie des enfants de rue, à l’abandon du milieu rural par l’État et aux engagements citoyens pour bâtir un nouveau modèle de société.
Baptisé cette année « Le festival aux mille visages », le festival OFF d’Avignon ne cesse d’offrir une programmation vertigineuse, où tout type de théâtre, toute conception de l’art, toute catégorie de spectacle vivant se retrouvent, concentrant dans un territoire fini une vitalité culturelle infinie. Pour proposer un autre regard sur cet événement et démasquer quelques uns de ses visages, il existe notamment un jury citoyen composé de passionnés de théâtre : le jury Tournesol.
Présidé par Jean-Luc Fauche, lui-même épaulé par Virginie Carletti, cette association se développe depuis plusieurs années comme la fleur éponyme, se donnant pour mission de récompenser et de mettre en lumière des spectacles caractérisés par l’engagement écologique, social, politique et, surtout, humaniste. Coup de projecteur sur trois lauréats de l’édition 2019 : É chos Ruraux , Betún et Nous étions debout et nous ne le savions pas .
Échos ruraux (Grand Prix)
Ce spectacle dénonce-t-il l’abandon de la campagne par l’ Ét at autant qu’il rend hommage à la résilience et à la solidarité en milieu rural ?
Mélanie Charvy (metteuse en scène) : C’est exactement le fond du spectacle. Il tente surtout de montrer l’inégalité des territoires dans l’accès notamment aux services publics. La devise française « liberté, égalité, fraternité » ne semble pas être appliquée sur l’ensemble du territoire français (La France dans son ensemble et non pas seulement la France métropolitaine). La notion d’égalité n’est absolument pas réelle puisque les services publics ont pour la plupart disparu des zones rurales (la Poste, l’école, etc.).
De plus, le financement de ces services publics incombe désormais aux communes ou aux communautés de communes qui n’ont pas les moyens d’assurer leur continuité. Il y a donc une réelle rupture d’égalité de traitement de nos citoyens en France en fonction de leur lieu d’habitation.
Pourtant nous ne sommes plus dans la période que l’on appelait d’exode rurale. Il y a certes toujours encore des zones rurales qui se désertifient mais la tendance démographique aujourd’hui est à l’inverse. Les zones rurales se repeuplent. La suppression, la fermeture des services publics n’a donc aucun sens puisque de plus en plus d’habitants décident de résider dans nos campagnes.
On voit donc ici que la notion de rentabilité des services publics est au coeur des réflexions de nos hommes et femmes politiques. Au détriment des citoyens, de leur choix de vie.
Malgré ce quasi abandon étatique, les citoyens se regroupent au sein par exemple d’associations pour que le lien social perdure ou se développe. Sur le territoire du Cher par exemple, des associations ont pour objet la diffusion culturelle en milieu rural (concert chez l’habitant, festival de théâtre de rue, présentation de spectacles en salle des fêtes entièrement équipées par les équipes). C’est le cas de l’Association Le Carroi à Menetou-Salon qui nous a accompagné dans notre collecte de paroles sur le territoire du Cher, parce qu’elle y voyait justement un autre moyen de créer du lien social, de rassembler les habitants d’un même département. Loin d’une notion de rentabilité de l’espace et du temps.
Quels sont les moyens propres au théâtre pour représenter de telles problématiques politiques et sociales ?
L’immédiateté de la réaction des personnages, en direct, devant nous. Toucher la sensibilité du spectateur qui voit devant lui des comédiens pleurer, s’exprimer, crier, s’indigner sans aucun filtre visuel (comme celui de l’écran pour le film, de la page pour le livre).
Pour Échos ruraux , nous avons choisi le code cinématographique pour le jeu des personnages principaux (naturaliste, certains diront) et décalés (plus théâtral pour d’autres) pour les personnages plus secondaires qui apportent une dose d’humour (indispensable à notre sens pour justement pouvoir encaisser la réalité).
Le théâtre, selon nous, doit être le miroir de notre société. Brecht disait : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » C’est notre devise théâtrale depuis le début. Notre arme est le théâtre, les mots, l’écriture justement. Écrire le réel, le décaler pour éveiller les consciences, donner à voir et à entendre ceux dont on ne parle jamais.
Comment se présente la tournée du spectacle ?
Nous avons une belle tournée en perspective pour la saison 2019-2020 : entre octobre 2019 et mai 2020. En région Centre-Val de Loire bien sûr : au Carroi le 4 octobre, au Luisant les 7 et 8 février, à Issoudun le 11 février et à Montargis le 15 mai. Mais aussi à Avignon le 17 mars, à Paris du 21 au 30 avril au Théâtre de l’Étoile du nord.
D’autres dates pour cette saison sont encore en cours de discussion. Nous jouerons donc ce spectacle à la fois dans des salles des fêtes, petites structures que sur de grands plateaux. En milieu rural comme à la ville. C’était notre objectif. Pour la saison 2020-2021, nous attendons les retours d’Avignon à la rentrée, mais ils semblent très positifs et une belle tournée s’annonce.