critique &
création culturelle
Belgium Best Country d’Edgar Szoc
Appel à un acte solidaire, humain et politique

Jusqu’au 26 novembre, le théâtre de Poche propose Belgium Best Country d'Edgar Szoc, une pièce sur la migration en Belgique. Le spectacle rend hommage à plus de 8 000 familles d’hébergeurs belges qui, « plus qu’un toit et de la nourriture, [...] protègent les migrants des arrestations arbitraires et expulsions à répétition . 1 »

À partir de vrais témoignages, Edgar Szoc donne la parole à ces personnes qui ont décidé de participer à l’élan d’accueil des migrants qui s’est manifesté depuis 2017 en Belgique. L’auteur de Belgium Best Country a choisi de se concentrer sur le récit des hébergeurs, laissant la voix des migrants absente du spectacle : « J’ai été hébergeur et je me sens légitime à porter cette voix-là. En revanche, il me paraît beaucoup plus complexe de parler à la place des migrants . 2 »

La pièce explore la « confrontation » entre migrants et hébergeurs et tente de rendre compte des questionnements et ressentis des familles qui ont accueilli des migrants. Au fil des témoignages, on comprend que chaque rencontre varie en fonction des personnes. Certains hébergeurs cherchent à « jouer les héros », certains tombent amoureux des migrants qu’ils accueillent, tandis que d’autres sont gênés et réalisent le privilège et le confort de vie dont ils bénéficient au quotidien.

©Zvonock

Alors que l’hébergement permet à certains de suivre « l’effet de mode » (un témoignage très percutant relate la pression sociale vécue par les membres d’un quartier qui ont accueilli des migrants et qui l’année suivante, se sont chacun acheté une Tesla), l’accueil de migrant permet aux personnes isolées de rencontrer de nouvelles personnes, mais également de rencontrer de nouvelles cultures.

En donnant la parole à cette multiplicité de voix de la part des hébergeurs, Edgar Szoc précise toutefois que parmi les motivations diverses, on observe « La politisation progressive de beaucoup d’hébergeurs. Ce qui a commencé comme un simple acte de solidarité humanitaire s’est souvent transformé en acte de résistance à la politique d’accueil du gouvernement de l’époque . 3 »

©Zvonock

Julie Annen, metteuse en scène du spectacle, a su mettre en valeur la diversité de témoignages, qu’ils soient drôles, tristes ou touchants. La mise en scène reste épurée et simple pour soutenir le texte très incisif de Edgar Szoc. Le plateau n’est composé que de tables et chaises, pas réellement exploitées, ce qui rend la pièce assez statique. Toutefois, les témoignages sont parfois entrecoupés par des enregistrements audios de réels hébergeurs, de la presse, de politique ou de membres de milieux associatifs. Ces interventions permettent de replacer les témoignages interprétés par les comédiens et comédiennes dans le contexte politique en Belgique et de montrer que la thématique est concrète, réelle et actuelle. Le spectacle est alors à la limite entre le documentaire et la fiction, ce qui impacte fortement le public qui se sent immédiatement concerné par la réalité migratoire.

Le spectacle reprend une quinzaine de témoignages différents. Les acteurs et actrices parviennent à interpréter la thématique dans toute sa complexité en évitant un jeu stéréotypé. Ainsi, le texte n’entend pas reprendre le récit de ces hébergeurs comme une généralité mais plutôt permettre à des voix singulières et personnelles de s’exprimer.

J’ai trouvé le jeu d’acteur très juste et percutant. Quel que soit le registre des récits d’hébergeurs (drôle, triste, touchant, bouleversant, violent), les émotions qu’ils véhiculent sont fortes et permettent au public de les ressentir, de s’y identifier voire de s’y reconnaître. Pour reprendre les mots justes d’un ami avec qui j’ai été voir le spectacle, « Belgium Best Country arrive à nous faire passer du rire aux larmes ».

Avec du recul, j’ai le sentiment que Belgium Best Country est bien plus qu’un spectacle. La pièce est un média qui permet d’informer le public sur les conditions de vie des migrants et les violences qu’ils traversent :

De plus, les témoignages montrent au public que notre impact, aussi réduit qu’il puisse être, reste important. Le spectacle lutte contre l’inaction face à la situation migratoire et invite les spectateurs et spectatrices à participer à l’accueil des migrants, que ce soit l’hébergement, le don de matériels, ou encore l’accompagnement des MENA (mineurs étrangers non accompagnés). Enfin, la pièce, au travers des témoignages et des interventions sonores, pointe du doigt les décisions prises par les politiques quant à l’accueil (voire le non accueil) des migrants et tente de déconstruire les amalgames et les préjugés.

©Zvonock

Plus qu’une « simple » pièce de théâtre, Belgium Best Country est un acte de sensibilisation incisif sur la thématique migratoire. C’est aussi un appel à l’hospitalité, à l’entraide, à la déconstruction des clichés et au retour des valeurs éthiques et humaines.

Même rédacteur·ice :

Belgium Best Country

Texte : Edgar Szoc
Mise en scène : Julie Annen
Avec Arnaud Botman, Marie Cavalier-bazan, Nathalie Mellinger, Ninon Perez et Baptiste Sornin
Scénographie : Olivier Wiame
Lumières : Marc Defrise
Costumes : Prunelle Rulens
Son : Joseph Olivennes
Dramaturgie : Vivien Poirée

À voir au Théâtre de Poche à Bruxelles, du 8 au 26 novembre