En octobre dernier naissait Big Appple, lieu d’art associatif installé rue du Pommier à Anderlecht. Le lieu intrigue par son emplacement et ses choix esthétiques singuliers. Rencontre avec ses trois fondateurs : Clément Herbert, Thily Vossier et Rachel Magnan.
Travaillant sous le nom de Big Appple, les trois fondateurs ont chacun une pratique différente. Clément et Rachel sont artistes, Thily se considère également comme une artiste même si elle a une pratique de la curation. A l’occasion de l’inauguration du lieu, je les rencontre pour qu’ils me parlent de leurs envies avec celui-ci, de leur proximité avec une jeune scène bruxelloise qu’ils entendent mettre en avant.
Pouvez-vous nous parler de la genèse du projet ?
Thily : L’idée de départ était de monter un espace d’exposition à Bruxelles. De notre point de vue, c’est quelque chose qui manque beaucoup. Il y a eu un âge d’or des artist-run spaces1 dans les années 2010, mais il n’en reste aujourd’hui que quelques-uns qui se sont institutionnalisés. Il y a moins de places pour des pratiques plus jeunes. On a choisi de ne pas se mettre dans le centre de Bruxelles : la volonté de base était de s’installer plutôt en périphérie, afin de ne pas rejouer ces vernissages du jeudi soir dans le centre. On est sur le créneau du dimanche, de la promenade. En même temps, ça reste accessible, on est proche du métro, mais il faut marcher. Un peu comme quand tu vas à une free party en fait.
Clément : On rêvait de tout ça à la fois. On fantasmait un bungalow, un terrain où on aurait pu construire quelque chose. Et puis comme par magie, on a eu l’info qu’il y avait cet estaminet préfabriqué forain sur le terrain d’un restaurant à Anderlecht. Une semaine après, on s’y est rendu, et ça correspondait vraiment à ce qu’on voulait mettre en place. À l’intérieur, il y a des peintures qui faisaient partie de l’attraction foraine. C’était dans un état de délabrement un peu avancé, mais c’est quand même apparu comme une évidence.
Thily : On cherchait une sorte de décor, un endroit où l’on peut faire entrer des histoires, quelque chose d’atypique, qui s’éloigne du white cube2 comme on peut en voir ailleurs.
L’histoire du lieu est encore très présente et le bar reste prépondérant dans l’espace. Quelles décisions ont marquées la réhabilitation du lieu ?
Rachel : On a voulu épurer le lieu, un mur séparait l’espace en deux, à gauche du bar. Derrière celui-ci, on a retiré des placards qui chargeaient l’espace. On voulait éclaircir l’espace pour que les artistes puissent s’y projeter. Aussi, on a eu pas mal de discussion avec le propriétaire de ce bungalow. Il avait son mot à dire forcément. Il voulait conserver pas mal de choses, les peintures notamment.
Clément : Ça aurait été dommage de les effacer, ça participe à l’ADN du lieu.
Concernant le bar, il prend effectivement beaucoup de place. On s’est demandé s’il n’était pas structurel pour le bungalow. L’enlever aurait aussi effacé une partie importante du lieu, sa fonction première. Un lieu de beuverie, de fêtes. Malgré le fait qu’il soit grand, imposant, on a décidé de faire avec.
Thily : Il y a quelque chose de fort autour de cet estaminet : fédérer des gens, favoriser l’échange. C’est important à nos yeux.
Vous parliez de promenade du dimanche : on a l’impression de rentrer dans un conte en se rendant sur place, on traverse des champs, à proximité se trouvent aussi des jeux pour enfants. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces proximités géographiques ?
Clément : Le trajet fait partie de « l’expérience » qu’on cherche à produire. Il y a plusieurs chemins pour s’y rendre, en passant à travers champs, en longeant la route. Petit à petit, la ville s’éloigne avec ses bâtiments au loin. Chaque exposition est suffisamment espacée pour qu’à chaque occurrence, on voit les quatre saisons. L’exposition inaugurale de Cécile di Giovanni se tenait au cœur de l’automne ; nous serons au cœur de l’hiver pour la prochaine. De manière à ce que chaque venue du visiteur soit marquée par différents éléments du paysage.
Thily : C’était important pour nous qu’il y ait un engagement du visiteur. Venir voir de l’art, c’est un engagement de la part du spectateur. On avait cette envie de secouer les gens qui viennent voir de l’art.
Rachel : Le lieu peut se visiter en autonomie, sur un système de dépôt de clé dans le restaurant juste à côté. On laisse une notice d’allumage de l’exposition. Le spectateur est autonome, du trajet jusqu’à sa visite. Il y a cette idée que le lieu devient une œuvre publique, une installation extérieure, accessible à tous, sans contrainte.
Thily : On considère l’estaminet en soi comme une sculpture.
Rachel : En-dehors des temps d’expositions, on propose aussi à des artistes de venir « augmenter » l’estaminet. Le premier est Joseph Dofny qui a refait la porte qui a dû être complètement remplacé. On aimerait bien retravailler des luminaires ou des vitraux. Ce sont des choses qui resteront comme des pièces permanentes.
Thily : Il y a deux temps de travail : le travail de la structure et le travail d’organisation d’exposition.
Pouvez-vous nous parler des expositions que le lieu accueille ? De votre choix d’inviter Cécile di Giovanni pour votre première exposition ?
Thily : On réfléchit à une curation où on imagine que les artistes peuvent dialoguer avec l’espace. On essaye d’avoir des propositions assez variées, avec des visions diversifiées. Ce qui amènera à chaque fois une vision divergente du lieu.
Clément : C’était un choix pour cette première exposition de commencer avec une sorte de conte, dont le titre Sleeping Beauty renvoie directement à Disney. On savait que Cécile di Giovanni avait cette capacité à participer au conte, il y a cet aspect Il était une fois dans son exposition. Le lieu est tellement présent à travers son architecture, son passé. C’est pourquoi on se concentre sur le format de l’exposition personnelle, où il y a toujours ce dialogue avec le lieu.
Thily : C’était aussi pour pallier un manque. Beaucoup des expos des jeunes artistes sont des expositions de groupes. C’est difficile de voir l’étendue d’un travail. C’est aussi ça qu’on veut proposer à Big Appple, pouvoir inviter des artistes et leur permettre de déployer leur travail ; ne pas se contenter d’une seule pièce. À chaque exposition, il y aura une discussion avec l’artiste invité·e qu’on a appelé Enquête à Big Appple. Ce qui permettra de découvrir sa manière de travailler, ses références, comment il réfléchit.