critique &
création culturelle

Black Movie Festival

Noir, c’est noir !

Pour sa quatorzième édition, le Black Movie, festival de films indépendants de Genève, a happé, telle une vague noire intrépide, l’attention des cinéphiles du bassin lémanique. Chaque année, la programmation est riche en joyaux : plus de cinquante films inédits en Suisse ont été présentés en dix jours.

Résolument moderne, le Black Movie Festival , dirigé et programmé par Kate Reidy et Maria Watzlawick , propose d’aller à la découverte de talents bourgeonnants, mais aussi d’explorer et de partager le travail de cinéastes confirmés, aux œuvres atypiques.

Hardi et transgressif, le festival se fait le messager des tendances socioculturelles et artistiques actuelles. Des thématiques sociétales, le cinéma de genre ou le parcours d’un réalisateur précis sont évoqués à travers des débats, des master classes (Wang Bing, réalisateur chinois de films fleuves) ou des expositions (cette année, les affiches de l’Art Theatre Guild, mouvement artistique nippon). Une section, le Petit Black Movie, s’adresse au plus jeune public. Elle était consacrée cette année au cinéma d’animation brésilien et proposait aussi des ateliers.

Le festival se partage principalement entre deux hauts lieux de la culture genevoise : la Maison des Arts du Grütli 1 et le cinéma Spoutnik , sorte de squat culturel bariolé et barré. Les fameuses afters contribuent également à l’ambiance aussi atypique que conviviale du festival : elles battent leur plein au Gunbalow , sorte de bar microscopique haut perché.

Le plus beau reste à mentionner. Chaque année, le design et les installations sont confiés à des artistes différents. Cette année, le Franco-Genevois d’adoption Cetusss , fasciné par Twin Peaks , avait reconstitué la Black Lodge, où l’on pouvait le premier jour venir se faire photographier avec son toutou. Il avait aussi paré une salle de projection de décors évoquant le Great Northern Hotel, à grand renfort de têtes de cerf empaillées, sapins, bûches et triangles ésotériques. À l’attention des festivaliers gourmands, une donuterie fut mise en place pour compléter cette imagerie décalée, américanisante et vintage. Un bonheur pour tous les sens – là est l’intention du festival.

La programmation s’articule autour des parties du corps pour offrir des films qui vous prennent aux tripes, au cœur, à la tête, vous rendent muets, sourds à tout le reste, mais surtout qui vous ouvrent les yeux, qui vous stimulent. Une anatomie du chaos , une sorte de dissection des sentiments en chambre noire prend place.

L’Asie était largement représentée cette année, avec six films de Wang Bing , de véritables fresques sociales, et un hommage à la nouvelle vague nippone des années 1960. On put ainsi découvrir des films psychédéliques projetés en 35 mm. L’un d’entre eux, les Funérailles des Roses (1969), tragédie queer de Toshio Matsumoto nourrie d’ Œdipe roi de Pasolini et de larges tablettes de LSD, aurait inspiré Orange mécanique de Kubrick . Plusieurs films coréens étaient également à l’affiche, dont le thriller-pétage de plombs Hard Day , ou les mésaventures d’un stagiaire inadapté dans une société foireuse de 10 Minutes .

Ami de Tarantino, populaire en Europe depuis le sensuel et glaçant Audition (2002), Takashi Miike est un réalisateur prolifique , avec à son actif quatre-vingt-dix films produits en peu de temps et avec des moyens limités. Son dernier film, Over Your Dead Body , mêle, dans une esthétique léchée, gore, théâtre traditionnel japonais et conte fantastique pour narrer une histoire de vengeance amoureuse

Il est aussi question de fureur et d’instincts animaux dans The Tribe (2014), premier long métrage de l’Ukrainien Myroslav Slaboshpytskiy . Cette œuvre atypique et saisissante, présentée à Cannes, est entièrement « dialoguée » en langage des signes (sans traduction aucune pour les « entendants »). Dans ce film à la violence esthétisante, la gestuelle se fait véhicule d’angoisse et d’intimidation . Cinglant le spectateur d’une cruelle réalité, Slaboshpytskiy relate la survie bestiale d’un groupe d’adolescents dans une ex-URSS chaotique aux lois quasi féodales.

© Ina Inonog

Audacieux et novateur, le festival Black Movie a tenu à honorer cette année les premiers films de jeunes réalisateurs, dont Dwein Baltazar , venue présenter Mamay Umeng (2012) : un vieil homme attend sa fin de pied ferme, à mi-chemin entre témoignage documentaire et allégorie de la mort. ( Lire notre entretien avec Dwein Baltazar )

Des festivals qui encouragent le cinéma indépendant, avec une affiche internationale variée, un design soigné, une organisation accessible et décontractée , nous, nous en redemandons. À l’année prochaine, pour une teinte de noir plus fascinante encore ?

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