J’avais lu, aimé, chroniqué le dernier roman de Nicolas Ancion, Invisibles et remuants , paru chez Maelström en 2015. Jamais lassé des projets farfelus, l’auteur a décidé d’adapter son livre au théâtre (et presque au cinéma) avec le Collectif mensuel.
« Adapter » n’est pas le terme le plus adéquat. Il est dit qu’
Invisibles et remuantsa « inspiré » la pièce
Blockbuster. En fait, l’intrigue du livre est réduite à sa substantifique moelle : l’idée de la révolte des 99 % (les plus pauvres) contre les 1 % (les plus riches). Et, pour traiter ce thème, l’invention géniale réside dans la forme : Nicolas Ancion et le Collectif Mensuel se sont payé Hollywood et le casting le plus prestigieux qu’on puisse imaginer.
Michael Douglas incarne Mortier, patron de la Fédération des entreprises, qui part en croisade contre le projet gouvernemental de taxer les très hauts revenus. Julia Roberts est Corinne Lagneau, journaliste d’investigation dont un article sur l’évitement de l’impôt par les plus grandes entreprises est censuré à la veille de sa parution. Elle rédige alors une lettre qui circule à l’échelle planétaire via les réseaux sociaux et constitue le point de départ du soulèvement social. Soulèvement incarné notamment par Brad Pitt (Bernard, chômeur wallon) et Sean Penn (Pinet, à la tête de plusieurs asbl d’insertion sociale et d’aide aux démunis). Côté gouvernemental, Judy Dench est ministre de l’Intérieur et du Budget, Tom Cruise Premier ministre.
Évidemment, tout ce beau monde n’est pas présent sur scène. Les créateurs ont, sur le modèle du Grand Détournement de Michel Hazanavicius, coupé et remonté plus de 1 400 plans issus de 160 films hollywoodiens pour raconter leur histoire. Le film inédit qui en résulte est projeté sur un écran tandis que, sur la scène, les « doublages » et bruitages sont réalisés en direct et avec une grande virtuosité par les comédiens du Collectif mensuel. Certains pourront estimer que le propos, coulé dans cette forme radicale, est un peu grossier, sans nuances. On leur rétorquera que le propos est juste : le creusement indécent des inégalités dans le monde n’est-il pas lui-même absolument grossier, absolument sans nuances ?
Au Théâtre National où j’ai vu la pièce, le public a été totalement embarqué, et moi avec lui. Bien sûr, on rit. Beaucoup. On s’amuse à reconnaître les films d’où sont extraites les scènes ( Erin Brokovich, Fight Club, Rambo, Rocky, Wall Street, Expendables, Eyes Wide Shut, Reservoir Dogs …). On s’enchante du décalage entre les scènes d’origine et les dialogues réinventés. Mais aussi, on est porté par l’esprit de révolte. Comme dans une manif, on ressent soudain que les idées peuvent prendre corps, lorsque les corps sont nombreux. On se sent appartenir. Avant le début de la pièce, les comédiens demandent l’aide du public pour enregistrer certains sons qui seront réutilisés dans le spectacle : des applaudissements ; un chant : « Tous ensemble, tous ensemble, hey ! Hey ! ». C’est naïvement que le public s’exécute alors. C’est avec le sourire aux lèvres et le poing levé qu’il quitte la salle une heure trente plus tard.
Blockbuster revient sur scène en Belgique et en France en 2017, courez-y ! Pour connaître toutes les dates de représentation : www.collectifmensuel.be/spectacles/blockbuster