Blues festivalier
Ne nous voilons plus la face, l’été est bel et bien fini. Notre météo, déjà en demi-teintes, a définitivement décidé de nous laisser tomber, les costumes trois pièces sont de retour dans les rues et les enfants ont recommencé à se promener avec des cartables trois fois plus gros qu’eux.
Comme si ce n’était pas assez déprimant, la fin de l’été signifie également, pour une frange d’entre nous, l’arrivée de l’inévitable « blues du festival ». Eh oui, elles sont terminées, ces fantastiques périodes de trois ou quatre jours hors du temps, hors de la réalité. Pourtant, c’est une pilule qu’on refuse d’avaler corps et âme. Pour mieux la faire passer, replongeons-nous dans le dernier grand festival belge de l’année : le Pukkelpop.
Littéralement, Pukkelpop se traduit par « explosion de boutons d’acné ». Derrière cet intitulé peu ragoutant se cache le dernier gros festival belge à jouir d’une identité propre (à l’exception de la Tomorrowland, de toute manière hors catégorie). Alors que tous ses concurrents directs se ressemblent de plus en plus, le Pukkel, de son petit nom, a su grandir tout en gardant sa philosophie à la fois délirante et éclectique. On se retrouve donc sur un terrain énorme garni de pas moins de huit scènes ayant chacune leur thématique. On voit de tout là-bas, et si l’on a rien à voir, on se promène sur le terrain plus qu’atypique du festival, qui propose des dizaines d’attractions entre les zones cachées, les toilettes à dix mètres d’altitude ou encore un stand de pigeons voyageurs. Le délire est toujours au rendez-vous tout en caressant le festivalier dans le sens du poil (à l’exception des prix malheureusement, comme toujours).
Par ailleurs, si le Pukkelpop a aujourd’hui acquis ses lettres de noblesse et affiche complet depuis 2010, c’est avant tout grâce à son côté visionnaire. Un groupe sur dix qui se produit sur la plaine d’Hasselt se retrouvera dans les deux années à venir à Werchter, festival commercial par excellence. L’organisation parvient à débusquer les petits qui deviendront grands et à les mêler à des valeurs sûres. N’oublions pas cette anecdote : personne ne voulait de Nirvana en 1991 dans nos contrées. Le groupe s’est finalement produit à 13 heures sur la scène principale. On connaît tous la suite.
S’il devait n’en rester que trois
Passons donc à la musique, attrait principal d’un festival. Cette année s’alignaient des pointures énorme de la pop et du rock en passant par l’électro en tout genre. Bien que leurs concerts aient été d’une excellente facture, on sent néanmoins à plein nez le rodage sur scène, le calibrage des
set lists
et la prévisibilité des musiciens. Évitons donc de nous attarder sur les Linkin Park, les Offspring ou encore les Bastille qui, malgré leurs très bonne performance, donnent l’impression d’avoir déjà tout montré. Concentrons-nous plutôt sur trois formations moins connues qui ont fait remuer le festival à leur manière.
La première d’entre elles à avoir livré un concert digne de ce nom est Jurassic 5 . Collectif de hip-hop tombé à moitié aux oubliettes suite au succès du Wu-Tang Clan dans les années 1990, le groupe a néanmoins proposé un répertoire plus que fourni et l’envie d’en découdre avec un public qui ne le connaissait peut-être pas assez. Résultat, ce dernier en est ressorti tout retourné. La symbiose entre les membres est parfaite, le son à tomber par terre. Lorsqu’ils interrompent leur flow , c’est pour mieux laisser parler les deux DJ qui nous offrent des batailles de bruits, armés d’instruments faits maison complètement improbables. Sans conteste la première claque du festival, on n’attend plus que leur retour.
Second coup de cœur : le blues typé de Seasick Steve . Ancien sans-abri, cet homme a passé la moitié de sa vie à confectionner des guitares avec des éléments incongrus (de la jante de voiture à la canette de corned-beef). L’ambiance est à la bonne humeur et l’on écoute le monsieur jouer des morceaux simples mais qui font instantanément battre de la tête. C’est bien pensé, incisif, tout en étant plein de candeur. On ne regrette qu’une chose : Steve aurait dû être découvert bien plus tôt.
On termine ce court panorama avec un genre totalement différent, les stoners de Baroness . Impossible de ne pas bénir le ciel de pouvoir assister à ce concert après l’accident de la route qui faillit coûter la vie aux membres du groupe. On assistera à leur performance sous tente, dans une ambiance intime (la moitié des festivaliers présents attendaient déjà In Flames, tête d’affiche du jour). Le groupe nous transporte dans son hard rock à la fois agressif et mélodieux. Les guitares tricotent et le mur sonore nous plonge dans un état second. On est soufflé par la puissance et transporté par la virtuosité. La musique jouée par Baroness est presque paradoxale mais, quand le set termine, on ne peut qu’en redemander.
Et voilà, c’est fini. Non sans un fabuleux feu d’artifice pour clôturer dignement l’événement. Le lendemain, les milliers de festivaliers reprendront la route vers leur quotidien. S’ils semblent souffrir de devoir transporter leur matériel de camping après trois jours, ce n’est qu’en apparence. La vraie douleur vient de l’attente qui se dresse devant eux, avant de pouvoir à nouveau profiter de la musique à travers les champs. Il ne reste plus qu’à compter les jours. Et finalement, on peut quand même se réjouir : quand la saison des festivals s’achève, celle des concerts commence.