Après le brillantissime Songe à la douceur , le nouvel opus de Clémentine Beauvais était attendu avec autant d’impatience que d’inquiétude, revers d’un coup de génie.
Cette fois-ci, nul exercice de style. Avec Brexit Romance , l’auteur renoue avec la force romanesque qu’elle avait déjà déployée dans les Petites Reines . Elle nous plonge dans le quotidien de Marguerite Fiorel, une jeune chanteuse lyrique, et Pierre Kamenev, son professeur, tandis que les deux personnages se rendent en Angleterre où la jeune soprano française s’apprête à chanter dans les Noces de Figaro . Leur voyage prend un tour inattendu quand ils rencontrent Justine Dogdson, une Britannique jeune créatrice d’une entreprise dont l’objectif est de faciliter les mariages franco-britannique afin de favoriser l’obtention de passeports, et Cosmo Carraway, un jeune lord qui va faire s’enflammer l’imagination de la jeune Française mais dont la famille incarne les vieux démons d’une société conservatrice inquiète de voir ses privilèges disparaître à l’aube de la modernité.
Certes, Brexit Romance est une histoire d’amour mais ne vous fiez pas aux stéréotypes qui vous viennent à l’esprit lorsque vous entendez ce qualificatif. Clémentine Beauvais détricote l’institution du mariage et lui ôte toute connotation sentimentale. Ici, s’il est question d’amour, alors point de mariage, et si cérémonie il y a, pas question de s’attacher. Et c’est dans doute là aussi que se situe la force de Brexit Romance : c’est un roman d’idées. Remettant non seulement en perspective la visée utilitariste du mariage, mais réfléchissant aussi à la montée de l’extrémisme en Europe.
Même si l’on ressent toute l’affection portée par la jeune auteure française à son pays d’adoption, l’Angleterre, elle n’hésite pas non plus à en égratigner le système social. Austérité, mépris de la pauvreté, inégalités sociales… tout un terreau qui a sans doute favorisé l’apparition du brexit, tandis que toute une jeunesse rêve d’Erasmus, de rencontre, mais surtout de liberté. Une liberté d’être et devenir là où il le souhaite en Europe. Une liberté de potentialités dont Brexit Romance se fait le porte-voix.
« Qu’est-ce qui te désespère ? »
« Eh bien… Eh bien… On ne gâche pas une belle histoire d’amour par un mariage. »
Ou une belle histoire de mariage par un amour, pensa Justine en des termes plus Brexit-Romance.
« Seulement, maintenant qu’il y a un passeport à la clef… »
« Ben prends sa main et son passeport » dit Justine. « Quel est le problème ? Ça arrange tout le monde et de toute façon, ça ne veut rien dire, le mariage de nos jours. »
« Quel triste sort » soupira Katherine.
Le porridge arriva ; elle y fit barboter sa cuillère comme une rame de barque dans un marécage. « J’ai l’impression d’être retombée au dix-neuvième siècle, où tout à ce sujet était stratégique – il fallait réfléchir à toutes les unions, pour qu’elles soient le plus financièrement et symboliquement efficaces…
Où sont passées nos idéaux de liberté, ma chérie ? C’est ce que je me demande parfois. Voilà qu’on est en 2017, et qu’on se demande devant un sinistre porridge belge comment bien se marier pour obtenir le bon passeport. »
Justine jugea que ce n’était sans doute pas le moment de parler à sa mère de Brexit-Romance. Elle opta pour une plus précautionneuse maxime :
« La liberté a plusieurs formes, de nos jours. »