Cabane, cabane !
Veillée intime d’un soir
Du 13 au 15 février 2024, le duo composé de l’acteur Philippe Vauchel et de la musicienne Mathilde Dedeurwaerdere ont interprété le spectacle Cabane, cabane ! à Temploux. Dans cette pièce de théâtre intime aux airs de veillée, c’est de toutes les cabanes d’une vie dont il est question. Des détails auxquels on ne peut prêter attention qu’en se retirant du brouhaha du monde. Pour un soir.
Vous rappelez-vous de toutes vos cabanes ? Celles de votre enfance, construites à partir de deux chaises et d’une couverture. Ou celles logées au cœur des forêts, aux contours connus de vous seul·e. Ou encore, celles de vos pensées. Moi, ma dernière cabane fut éphémère et inopinée. Elle a pris place dans une salle chaleureuse à Temploux, un soir de février. Des chaises avaient été placées en cercle. Des chaises dépareillées, qu’on ne trouve plus qu’en brocante ou chez papy et mamy : en rotin, en pin ou en tissu. Nous sommes un peu moins de nonante encabané·es pour la représentation de ce soir. Nous prenons place.
« J’ai beaucoup hésité à venir… » Philippe Vauchel fait quelques pas vers le centre du cercle. Il regarde les spectateur·ices, ces habitant·es de la cabane de ce soir. Silence. Nous nous observons. Quelqu’un rigole, par gêne ou véritable hilarité. Ça, cela fait aussi partie de la pièce. Chacun·e est sur scène, sans vraiment le vouloir. Propre du théâtre de l’intime, les observateur·ices du moment font partie de ce qui est donné à voir. Je peux remarquer la gêne de la femme en face de moi et la curiosité de l’homme assis à côté d’elle. Philippe pourra les faire participer, les emmener au centre du cercle. Et moi aussi.
« Des propos de cabane. Des choses qu’on a pas l’habitude de dire. »
Résumer cette quasi-veillée serait bien trop réducteur. Des propos de cabane, cela se vit, s’écoute, se chante. Des propos de cabane, cela tient des détails. De ces petites choses qui habitent nos vies, nos rêveries. Dans nos cabanes, il est permis d’imaginer, de souffler, puis d’ouvrir grand les fenêtres, afin que tout ce qui tourbillonne à l’intérieur rejoigne la liberté de la nuit. Dans nos multiples cabanes, on s’extrait doucement du brouhaha de la vie pour enfin tendre l’oreille à d’autres chants.
« C’est quand on est à l’abri du monde qu’on entend tous les bruits du monde. »
Sur scène, Philippe Vauchel est très vite rejoint par Mathilde Dedeurwaerdere et son accordéon diatonique. La pièce qui se joue est rythmée, elle bat la mesure des propos de Philippe et de la musique de Mathilde : les deux se répondent dans leurs pas, mêlent paroles et mélodies. Le duo fonctionne avec beaucoup de justesse : c’est que le texte a été écrit avec la musique, et vice-versa. Philippe Vauchel est rompu à l’exercice du théâtre, tant il a joué pour de nombreuses scènes belges, ainsi que pour certaines séries et feuilletons télévisés. Il aura joué près de 500 fois sa pièce Trois secondes et demie, un seul en scène où il explore le théâtre de l’intime et le théâtre d’appartement. Mathilde Dedeurwaerdere, quant à elle, a déjà prêté sa musique pour d’autres pièces de théâtre, et fait également partie d’un groupe de musique ‒ Ostara ‒ où accordéon, harpe, rythme et chant se rencontrent.
- « Dis, tu penses que les gens se mettent en couple par peur de la mort ? »
- « Cabane, cabane ? »
- « Dis, tu penses que les gens se mettent en couple par peur de la vie ? »
- « Cabane, cabane ! »
Ces propos de cabane m’ont paru empreints d’une belgitude qu’il m’arrive d’oublier. Je l’ai senti dans l’imitation de certains accents, dans l’usage d’expressions lointaines et l’évocation de lieux disparus, habitants des souvenirs de mon enfance. Bien assise sur ma chaise aux formes du passé, un sentiment de confort m’a accompagnée tout au long de la représentation. Sans aucune idée de la destination ou des détours qui seront empruntés, Philippe Vauchel et Mathilde Dedeurwaerdere auront su m’emmener sur des chemins rarement explorés. Alors que le spectacle se termine, Philippe Vauchel nous invite à rester, bavarder et boire un verre : « Ce qui se passe après le spectacle est tout aussi important que ce qui se passe pendant le spectacle. » Notre duo, accompagné de Michel Frère ‒ bien présent dans un coin de la salle, maître de l’éclairage ce soir-là ‒ se joint aux spectateur·ices. La cabane s’étend soudain et se débarrasse des contraintes du temps de la représentation. On échange, on s’écoute. On partage des détails. Que des détails. Des détails.