Dans Candide et la folie du monde, adaptation fantas(ti)que du conte philosophique de Voltaire par la Compagnie du Simorgh, cinq comédiens se plient en quatre pour nous en mettre plein la vue, et plein les oreilles ! Après une série de dates en début d’année, deux représentations de sont encore prévues le 2 mai à Welkenraedt et le 4 octobre 2019 à Eghezée.
La pièce reprend le célèbre conte philosophique de Voltaire, Candide ou l’Optimisme . Candide, le héros, doit son prénom à son caractère : il s’agit d’un jeune homme absolument ingénu. Cela vient du fait qu’il a grandi à l’écart du monde dans le château de son oncle, le baron de Thunder-ten-tronckh. Son professeur, maître Pangloss, a pour principe que tout ce qui arrive devait arriver et mènera à une bonne fin, que dis-je, à la meilleure des fins possibles. Ou selon sa formule préférée : « Tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles ! » Lorsqu’il est brusquement chassé du château à cause de son amour pour sa cousine, la douce Cunégonde, Candide est obligé d’abandonner sa vie oisive. Il découvre alors le vaste monde, les guerres et la cruauté des hommes, et réalise que ce monde ne tourne pas aussi rond que le professait Pangloss.
Les comédiens sont au nombre de cinq. L’un incarne Candide, présent tout au long de la pièce. Les quatre autres sont habillés des mêmes vêtements discrets et passe-partout et jouent chacun plusieurs rôles. Les différents personnages se distinguent cependant clairement grâce à divers accessoires et éléments de costume, prestement enfilés en coulisses, mais aussi grâce aux variations de posture et de voix. Certains personnages, comme la vieille servante, rappellent la commedia dell’arte de par leur posture, leurs gestes et mimiques, leurs intonations grinçantes. On s’étonne des métamorphoses rapides et efficaces, on cherche à reconnaître l’acteur sous le personnage. Cette tournante dynamise la pièce davantage que si chaque rôle avait bénéficié de son propre acteur.
Les comédiens sont également musiciens et réalisent eux-mêmes les musiques et bruitages de la pièce. Aux percussions, à la guitare, à l’accordéon, mais aussi au hang, instrument suisse récent et encore peu connu. Le violon mérite une mention spéciale qui, comme la BO d’un film, s’introduit tellement naturellement qu’on ne s’en rend pas tout de suite compte. Quelques passages sont chantés, parfois même a cappella . Ces chansonnettes dérivées du texte original modernisent l’adaptation et ajoutent de la variété dans la représentation.
Les bruitages et musiques faits main, les costumes sommaires, les recyclages de comédiens, l’hilarant jeux de mimes qui représente le voyage en bateau et le naufrage : tout cela donne une impression d’artisanat, de débrouille. Le tout est loin de passer pour de l’amateurisme. En revanche, ce manque de prétention et cet humour rapprochent les spectateurs des artistes et les impliquent davantage dans ce qui se déroule sur la scène.
En regardant cette pièce, le spectateur ressent en effet une certaine proximité avec les acteurs. Leur humour participe à donner ce sentiment de complicité. De plus, comme l’on connaît déjà le récit de Voltaire, on n’est pas tant plongé dans l’histoire qu’attentif à la manière dont les comédiens nous la racontent. Il faut dire que la mise en scène originale et le jeu d’acteur assez caricatural aident à déplacer l’attention du spectateur sur la forme. Toutefois, cela n’est pas grave, et il est même bienvenu d’être stimulé visuellement et auditivement, et pas seulement intellectuellement par la morale philosophique.
Candide ou l’Optimisme est en effet un conte philosophique, et comme tout conte, il a une morale. L’écrit de Voltaire s’inscrivait au XVIII e siècle dans le cadre d’un débat farouche sur le fatalisme, le déterminisme, la liberté et le bien ou le mal. D’un côté, le philosophe allemand Leibniz affirme que Dieu a créé le meilleur monde possible et que tout ce qui se produit a une cause nécessaire. De l’autre côté, Voltaire s’oppose vivement à cet optimisme leibnizien qu’il juge béat. Le personnage de Pangloss caricature sans ambages la pensée de Leibniz. À travers les péripéties traversées par Candide, Voltaire s’attelle à démontrer qu’au contraire, le monde est loin d’être parfait. Il dénonce notamment la violence gratuite des hommes et leur stupidité, que ce soient les inquisiteurs de l’Église catholique ou les conquistadores en Amérique latine. Le philosophe français n’est pas pour autant défaitiste : l’homme est capable d’améliorer sa condition. Pour cela, conclut-il par la bouche de Candide, « il faut cultiver notre jardin ». Cultiver notre jardin, certes, mais sans raisonner : nous ne devons espérer plus que le bonheur procuré par un travail accompli. Une pensée qui ne fait que peu d’adeptes de nos jours, au vu de la tendance actuelle à la recherche du bien-être, du succès des coaches de vie et autres livres de développement personnel.
La pièce reste – de façon non-exhaustive – à peu près fidèle au récit de Voltaire. L’histoire de Candide, caricaturale et moralisante dans sa description des folies humaines, m’a donc replongée dans mes cours de français du secondaire sans vraiment me passionner. Heureusement, la mise en scène fraîche et dynamique m’a accrochée. Cette revisite vitaminée dépoussière le classique du XVIII e siècle et lui ajoute une touche de… folie !