Claude Rouyer
Cette semaine dans la galerie Karoo, nous découvrons la photographe Claude Rouyer. Promenade en forêt, par les chemins de la superstition…
Claude Rouyer : Ce n’est qu’un extrait, et pas d’une série complète. Il y a environ septante photos qui constituent le corps du travail. Mais ce n’est pas vraiment une série, je préfère parler d’ensemble.
Quelle différence faites-vous entre l’un et l’autre ?
Une série a un thème très défini, un début et une fin. Or, ici, je suis dans un travail en continu qui s’étale sur des années. Je travaille avec mes enfants, qui sont petits pour le moment, mais ils grandiront. J’aimerais inscrire ce travail dans la longueur et la durée, avec une évolution. Je ne présente d’ailleurs pas cet ensemble de la même façon en fonction des circonstances et du contexte. Parfois, une seule nouvelle image qui s’y rajoute peut faire évoluer la signification de l’ensemble.
J’aime l’idée que ce soit vivant et surtout pas figé. Je rajoute des images, mais j’en retire aussi. Évidemment, pour mes autres travaux, les contraintes sont différentes, c’est peut-être moins souple. Mais si j’ai décidé d’exposer ces photos dans Karoo, c’est parce qu’elles sont, à mon avis, les plus représentatives de ce que fais.
Vous dites ne pas vouloir faire référence à l’univers du conte, pourtant, tout nous y invite.
Il y a un grand rapport à la nature, c’est vrai. Pourtant, je ne cherche pas à mythifier la forêt. Ce décor forestier est là pour ce qu’il est : exprimer une présence naturelle. Après, il y a effectivement, dans l’inconscient collectif, tout un tas de références aux contes. La forêt, c’est un lieu de danger, de mystère. Moi aussi, j’ai ces codes en tête, sans le vouloir, je ne peux pas le renier. Mais ce n’est pas dans ce créneau-là que je veux travailler. Ce n’est pas cela qui m’intéresse. Au contraire des saisons par exemple.
La forêt est donc un des acteurs principaux de cet ensemble.
La forêt fonctionne comme une pièce. C’est un intérieur qui se trouve à l’extérieur. C’est un huis clos dehors et ouvert. C’est très paradoxal et ça me plaît beaucoup. Je m’intéresse à ce rapport entre la nature et nous, à la fois simple et complexe.
Ce que j’évoque touche à la superstition (pas le conte, mais plutôt cette notion de culture très populaire) et nous relie à l’intime, à la nature ou aux gens qu’on aime. Cette relation m’intéresse, notamment pour les mises en scène que je réalise. D’ailleurs, ces mises en scène préexistent dans mon esprit avant la photo. Ce sont des images mentales que je reproduis pour la photo.
C’est de la mise en scène, mais je pense que n’importe quelle photographie procède inévitablement d’une mise en scène. Même dans le documentaire il y a du découpage, un angle. Il y a une difficulté à s’imposer un lieu qui revient. On doit se renouveler systématiquement, mais avec les mêmes ingrédients. Mais je ne prévois rien. Par contre, je sais très bien ce que je ne veux pas. Et c’est plutôt ça qui me guide. Le reste, c’est de l’instinct, de la sensibilité, voire du tâtonnement.
Cet ensemble ne peut-il exister qu’en forêt, dès lors ?
C’est une possibilité que je ne veux pas effacer. J’habite à Tervuren, à proximité de la forêt. C’est donc pour moi un lieu de vie quotidien. Maintenant, si d’autres paysages me surprennent, je n’y suis pas fermé. Il y a d’autres lieux que je pourrais investir et où je pourrais m’investir. Je pense quand même que la forêt restera une constante parce que c’est un lieu dans lequel j’aime vraiment revenir.
Tout autre chose
S’il ne devait rester qu’une seule peinture, laquelle choisiriez-vous ?
Chasse nocturne , de Paolo Uccello. Je ne sais pas si c’est la seule peinture que je retiendrais, mais c’est celle à laquelle je pense en premier. J’aime beaucoup les univers de ce peintre italien et ce tableau-ci en particulier. Avec cette volonté qu’il a de faire absolument des perspectives, on en arrive à des choses un peu dérangeantes.
Un livre ?
2666 de Roberto Bolano : un livre monstrueux (dans le bon sens du terme), inépuisable. On peut le lire vingt-cinq fois, on n’en arrive jamais à bout. C’est un écrivain que j’adore vraiment énormément.
Un film ?
Sourires d’une nuit d’été , d’Ingmar Bergman. Il y a des lumières incroyables. Je suis très sensible aux ambiances et chez Bergman elles sont portées à un très haut niveau, merveilleusement ciselées. Que ce soit dans le macabre, le lugubre, le féerique ou l’enchantement, dans tous les registres, il est égal dans la qualité.
De la musique ?
J’ai en tête quelque chose de peu connu : Mikrokosmos de Béla Bartók. Et surtout l’interprétation très moderne qu’en font Xavier Boussiron, à la guitare électrique, et la claveciniste Marie-Pierre Brébant. C’est un album complètement étonnant, avec des univers très différents, très forts, très concentrés, à l’intérieur du même album.
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