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« Comme un jeu de cache-cache

avec la mort » Rencontre avec Dwein Baltazar

Dwein Baltazar a présenté son premier film, Mamay Umeng , au Black Movie Festival de Genève. Une œuvre contemplative et fascinante sur les derniers jours d’un vieil homme. Nous avons rencontré la réalisatrice philippine à l’issue de la projection.

au Spoutnik de Genève, immeuble-squat transformé en centre culturel indépendant. Menu et bondé de monde : enthousiastes du cinéma indépendant, les festivaliers célèbrent sa fin au bar Gunbalow, boisé, toujours chaleureux et vivant.

La cage d’escalier spirale au centre de cette tour fascinante sertie de néons, de graffitis et d’affiches disposées pêle-mêle.

C’est sur une table poussée dans un coin que nous nous posons avec la réalisatrice Dwein Baltazar , à l’issue de la projection de son premier film. Mamay Umeng (2012) raconte l’histoire de Mamay, qui vient d’avoir quatre-vingt-quatre ans . Dans le calme serein de la campagne philippine, las et usé par les ans, il attend la mort. Le film, minimaliste et quasi muet, laisse la beauté des images s’ancrer dans l’esprit du spectateur en montrant le quotidien d’un vieillard résigné. Durant ses promenades nocturnes vers la mer, son pas intrépide l’emmène lentement mais sûrement vers l’inexploré.

Qu’est-ce qui vous a conduit à faire du cinéma ?
J’ai oublié l’âge que j’avais. J’étais en quatrième année en secondaire, et je me suis rendue compte que je voulais faire des films. Je voulais faire du cinéma, entrer dans la scène alternative… Mais malheureusement, aux Philippines, il n’y a que trois universités qui offrent des cours de cinéma. Je n’ai été sélectionnée pour entrer dans aucune de ces écoles, alors j’ai pris des cours de communication et médias. Lorsque j’ai terminé mes études, j’ai dû mener un véritable combat pour faire mon premier film. C’était difficile. J’ai travaillé en tant que secrétaire et assistante de production. Pendant que je travaillais hors du milieu cinématographique, j’écrivais toujours et je réfléchissais, je développais des histoires.
Un jour, j’ai voulu que ça se fasse, alors j’ai envoyé un scénario à l’organisation-mécénat qui sélectionne aux Philippines les films qui seront subventionnés chaque année. Mon projet a été retenu. Voilà l’histoire de mon premier film.

Quelles sont vos influences cinématographiques?
J’ai toujours été mordue de films français, dans ce style de cinéma lent, contemplatif. Je ne veux pas de films avec trop de dialogues. Non, en fait, j’aime les films avec beaucoup de dialogues, je ne veux juste pas quelque chose qui reste au milieu : si c’est un film muet, parfait, et s’il est plutôt parlant, parfait aussi, comme la série des Before ( Before Sunset, Before Sunrise et Before Midnight , de Richard Linklater) dont je suis une grande fan.
Pour ce qui est de mes influences, j’aime Michel Gondry et François Ozon : j’admire beaucoup ces réalisateurs. C’est plus le côté alternatif et expérimental des films qui m’intéresse.

Intéressant que vous mentionnez François Ozon, parce qu’en voyant Mamay Umeng j’ai pensé à son film le Temps qui reste . Vous savez, lorsque le personnage principal est allongé sur la plage et que le soleil se couche La fin de votre film est extrêmement poétique, Mamay a fini par traverser « de l’autre côté »…
Oh, merci… (sourit) .

Je trouve cela très émouvant. Qu’est-ce qui vous touche chez le personnage de Mamay ?
Je pense que c’est juste le fait qu’il soit un très vieil homme qui n’a rien d’autre à attendre de la vie, qui souhaite voir venir sa propre mort.
Je voulais concevoir le film comme un jeu de cache-cache avec la mort. Il veut la trouver, mais il désespère d’y parvenir. Je ne voulais pas d’une fin trop brutale, évidente, j’avais envie de la laisser ouverte aux interprétations du public.

Donc ce qui vous touche chez lui…
Eh bien, le fait qu’il soit prêt à mourir, mais qu’il n’y parvienne tout simplement pas… Parce que parfois – et je le dis souvent pendant les séances de questions-réponses avec le public – parfois, nous romançons la vieillesse, le fait de vivre longtemps et âgé, mais en réalité, nous ne nous rendons pas bien compte de ce que ça fait d’y être, lorsque votre corps devient fragile et que vous avez fait tout ce que vous désiriez.
Romancer à ce point-là n’est pas forcément une bonne chose. Je voulais que mon public réalise qu’il est plus important de se souhaiter une vie porteuse de sens qu’une longue vie, parce que ça pourra vous paraître longuet (rit doucement) .

© Ina Inonog

Faire ce film vous a-t-il aidée à apprivoiser votre peur de la mort ?
Je n’ai personnellement pas vraiment peur de la mort. Je ne la crains pas car je sais qu’à la fin, on y passe tous… J’appréhende simplement la manière dont je vais mourir, j’ai peur qu’un camion me renverse par exemple, ou quelque chose de ce genre. J’aurais peur de souffrir, mais l’idée de la mort en soi ne m’effraie pas tant que ça.

Il y a un moment qui m’a vraiment intriguée, lorsque les deux vieux hommes se mettent à chanter sur le porche (au milieu d’un film quasiment muet). Est-ce une scène écrite ou improvisée ?
J’ai établi un fil conducteur pour le film, mais je n’ai pas eu besoin d’un scénario entier, écrit à l’avance : juste d’indiquer où et comment la scène aboutira, sans dialogue. Pour chaque conversation que vous entendez dans le film, j’ai juste indiqué à mes acteurs, mes voisins et mes tantes ce que je souhaitais pour la scène, et ils ont tous inventé ce qu’ils disaient. Les deux hommes chantaient leurs propres chansons.

Ah, ils l’ont inventée sur le coup.
Oui, je pense que c’est une vieille chanson ou quelque chose de ce genre.

Vous avez mentionné vos tantes… Des gens de votre famille jouent dans le film ?
Oui, parce que l’endroit où nous avons tourné est celui où ont grandi mes parents, c’est ma province [San Juan, Batangas]. Tous les interprètes du film sont soit mes voisins, soit mes oncles et tantes, à part l’acteur principal. Il a passé une audition pour le film, heureusement qu’il était venu.

C’est vous qui l’aviez contacté ?
On a publié une annonce largement diffusée, mais seulement deux ou trois acteurs sont venus passer des essais. L’un d’entre eux était Gerry Adeva. C’était le seul qui voulait… qui était d’accord pour une scène de nu frontale ! Alors, voilà.

Il a aussi des tatouages !
Oui, c’était un journaliste de métier et un poète durant ses jeunes années et il était très motivé à l’idée de jouer dans le film. En fait, son personnage est très différent de ce qu’il est en réalité parce que sur le plateau il était toujours plein d’énergie… Mais un mois après la première projection du film, il s’est éteint.

Quels sont vos projets ?
Juste après la première projection du film, je suis tombée enceinte. Alors maintenant, je suis une mère à plein temps, et j’écris sur le côté. Je travaille sur un scénario. Mon producteur cherche toujours une bourse pour le soutenir, mais c’est en développement. Ce scénario est en fait plus ancien. Un an après avoir écrit Mamay Umeng , j’avais déjà écrit cette histoire et l’avais fait parvenir à la même organisation-mécénat. Les deux projets furent sélectionnés. Le jury m’a demandé lequel je voulais présenter – ce n’était pas Mamay Umeng – mais au final, ils m’ont suggéré celui-ci. Je pense qu’ils ont dû juger que c’était un film, une thématique plus facile à aborder pour un premier film.

Vous avez déclaré, avant la projection du film, que les gens disent qu’il faut s’armer de patience en voyant votre film. Est-ce vraiment le cas, selon vous?
Oui, on m’a dit ça. J’ai lu des critiques et j’ai eu énormément de réactions du public. Nous avons projeté Mamay Umeng dans des festivals internationaux : je suis consciente de ce que pense et écrit mon public.

Après avoir dévalé les quelques marches en compagnie de son interprète, souriante et spontanée, bonnet vissé sur la tête, elle nous avoue que Genève est d’un froid glacial et qu’elle a hâte de retrouver sa petite fille d’un an et demi, restée à l’hôtel. Finalement, l’existence a repris son ascendant. Vivre, en se défiant de la mort. En réalisant un film subtil et ravageur à propos d’une vie crépusculaire, Dwein Balatazar n’a finalement fait qu’en célébrer la puissance et la beauté transitoire.

Propos recueillis le 25 janvier 2015 au Black Movie Festival.

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