Des poèmes en chansons
Si la poésie semble désuète pour certains, c’est peut-être parce qu’ils se contentent d’entendre lorsqu’il faut écouter. Nicolas Kekatos, auteur-compositeur et chanteur du groupe Bruxelles Coffee Club, démontre la porosité de la frontière entre musique et littérature.
Lorsque Nicolas, étudiant en fin de master en journalisme de récit et d’enquête à l’ULB, n’est pas plongé dans ses cours, il compose sa propre musique. Avec Johann Lopez, claviériste, et Clément Singer, guitariste, ils forment le groupe Bruxelles Coffee Club . Rencontre.
Avez-vous une méthode particulière pour produire votre musique ?
Je m’occupe de toutes les compositions musicales et des textes. Ensuite, le groupe se charge de travailler des lignes que j’ai composées pour la guitare, pour le clavier ou encore pour les basses. Johann et moi entreprenons la production musicale ainsi que les arrangements. Nous faisons tout au synthétiseur et Clément ajoute le travail de guitare.
Tu écris les textes avant de te pencher sur la mélodie ?
Non. Je travaille guitare et texte en même temps. En fait, j’écris de la poésie, des petites nouvelles et des romans pour m’amuser. J’écris donc un peu tout le temps et ça peut m’inspirer. Étant donné que la poésie est rythmique, elle peut nourrir l’idée d’une chanson.
Comment s’est formé Bruxelles Coffee Club ?
Le groupe s’est formé il y a plus ou moins une douzaine d’années. Je devais avoir 18 ans. J’avais un projet solo qui s’appelait « Pakin », pour lequel j’avais écrit un spectacle que j’ai joué au théâtre Bruegel. Il s’agissait d’un one man show dont le but n’était pas de faire de l’humour. J’avais écrit une série de chansons que je jouais dans le spectacle et ces dernières ont fini par y prendre plus de place que ce que je pensais, puisqu'elles en sont devenues la pièce principale. Je me suis alors dit que ce serait sympa d’inviter des musiciens pour se réunir autour de ces chansons. Clément Singer et moi avons alors formé un premier proto-groupe. Ensuite, nous ont rejoint Johann Lopez, le claviériste, et Laura Longsavath qui avait eu vent de ces chansons et qui les aimait bien. Elle m’a alors proposé une collaboration. Nous avons enregistré ensemble chez Johann qui, à l’époque, avait un petit studio. En fait, nous étions tous dans une école d’arts plastiques à Saint-Gilles et nous nous connaissions sans vraiment nous connaître. À cette époque-là, le but n’était pas de former un groupe indépendant. Les gens pouvaient varier et chacun pouvait y apporter ses envies. Il s’agissait plus d’une fusion de musiciens.
Pourquoi avoir choisi ce nom ? Cache-t-il une anecdote ?
Nous avons opté pour le terme « Club » car notre but n’était pas de former un groupe en tant que tel mais de se réunir pour faire de la musique. Nous voulions également que ça fasse écho au Buena Vista Social Club, que nous aimions beaucoup. Et pour la petite touche d’humour, nous avons ajouté le terme « Coffee » car nous étions des grands fans de café. Voilà comment nous sommes devenus Bruxelles Coffee Club. Le nom résume nos après-midi café et musique.
Vous n’êtes donc pas fermés à l’idée d’accueillir de nouveaux membres ?
Nous sommes tout à fait ouverts à accueillir de nouveaux membres mais, en douze ans, beaucoup de choses ont évolué. Des gens vont et viennent et cela se comprend, surtout lorsque les raisons sont professionnelles. Il est évident, par contre, que si je quitte le groupe, ce serait difficile de signer les chansons « Bruxelles Coffee Club », comme j’écris les textes et que je compose la musique, mais ça peut toujours se faire.
En parlant des textes, on y retrouve beaucoup de procédés littéraires, notamment les métaphores et les jeux de mots. Bruxelles Coffee Club a-t-il pour ambition de démontrer la proximité qu’il peut y avoir entre la musique et la littérature ?
Eh bien, la lecture est mon divertissement principal. J’en suis complètement fou. Le lien entre littérature et musique me paraît une évidence. Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre. J’ai même du mal à apprécier la musique qui n’utilise pas ou, très peu, ces procédés. Je pense que l’émanation poétique est la cause pour laquelle on accroche à la musique française. Je suis même persuadé que la musique pourrait être la dernière place où se trouve la poésie. Les autres membres du groupe n’ont peut-être pas la même vision que moi car on ne partage pas le même amour pour les bouquins mais, de nos jours, il n’y a plus tellement de publications de poésie grand public. Elle s’est un peu éteinte à la fin des années 60-70 et, en langue française, les derniers poètes populaires sont Philippe Jaccottet ou encore, Jacques Prévert. La musique a pris le pas sur la poésie. Je pense que c’est parce que les procédures rythmiques coïncident parfaitement. Certains artistes sont d’ailleurs brillants de poésie alors qu’ils n’en font pas le choix.
Te concernant, la musique s’inspire donc de la poésie ?
Sans aucun doute. J’ai écrit un nombre incalculable de chansons, pas du Brassens, mais je remarque quand même l’évolution quant à la place que je laisse à la poésie dans mes textes. Au début, je faisais énormément de références littéraires pour prouver qu’il y en avait sous le capot et pour qu’on se dise « ah tiens, ce type ne fait pas juste de la poésie mais il en a lue ». Cette forte démonstration a fini par passer avec le temps car je suis devenu plus confiant dans mes textes grâce aux retours qu’on a eus et aux concours qu’on a gagnés. Par ailleurs, je découvre moins d’auteurs. Quand on atteint un certain âge, on a trouvé nos auteurs fétiches, bien qu’on puisse avoir différentes phases, mais on ne trouve plus de nouveaux héros littéraires. Je me suis donc détaché de cette démonstration et l’expression est devenue plus personnelle. Il y a également une plus forte maîtrise de la métaphore qui me permet un peu de me cacher.
Puisque pour toi, la littérature et la musique sont liées, quelles sont tes influences dans les deux domaines ?
En musique, il y a Brassens, Barbara mais également Vincent Delerm qui a une qualité d’écriture remarquable. J’aime aussi beaucoup les Ogres de Barback, La Rue Kétanou et
Les Têtes Raides qui étaient des groupes un peu manouches entre jazz et musique de fanfare. Ils écrivaient d’excellents textes poétiques qui m’ont beaucoup plu. J’accroche moins à la musique française très pop. D’ailleurs, aujourd’hui, il y a un peu cette tendance à tout faire au synthétiseur ; une pop un peu à la Etienne Daho, à la fois sombre et poétique mais avec beaucoup de réminiscences des années 80 qui est une génération qui me touche moins que la précédente. En littérature, je suis très classique et XXe siècle. J’aime beaucoup Louis-Ferdinand Céline, Jean-Paul Sartre, Boris Vian ou encore Albert Camus.
Ces auteurs, tu les as découverts toi-même ou s’agit-il d’un amour que tes parents t’ont transmis par exemple ?
Mes parents ne sont pas du tout littéraires. Je suis tombé amoureux des livres accidentellement et assez tard, je trouve. Je devais avoir 13 ou 14 ans. J’avais une amoureuse qui habitait à Bordeaux et quand j’allais la voir, j’en avais pour cinq heures de train. Nous n’avions pas encore de smartphones alors je prenais des bouquins pour tuer le temps. Je suis d’abord tombé sur Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau et j’ai eu un premier choc, que je ne saurais expliquer, mais mon plus gros choc a été Kafka sur le rivage d’Haruki Murakami. À partir de là, je n’ai plus jamais arrêté de lire.
Cette littérature musicale vous a déjà mené à des concours ou encore sur des scènes ?
On a fait pas mal de scènes, bien que ces dernières années, le projet ait un peu changé. En fait, Bruxelles Coffee Club a eu des petits conflits de contrat à ses débuts. Cette mésaventure a fait que nous avons évité de faire de la scène. On a donc bien pris conscience que nous étions des petits Bruxellois et que nous faisions juste de la musique pour s’amuser. Ça a complètement changé notre vision car on s’est plus penchés sur la qualité de nos productions. Vu qu’on savait qu’on ne pouvait pas travailler pour le succès, on ne devait plus se calquer sur la sonorité du moment. Par exemple, depuis Stromae, on est dans une électro pop avec des textes de rap ou de slam mais nous, on ne se sent pas obligés de faire de même car nous n’avons pas le succès comme ambition. Nous voulons juste faire de la musique qui nous plait. On s’est même dit que ça pourrait être génial d’écrire et de composer pour d’autres artistes, ou de faire de plus petites scènes amateurs.
Concernant les concours, on a participé à quelques-uns mais ce n’est pas notre moteur. C’est pour nous motiver et ça fonctionne. Récemment, nous avons gagné le prix du Consul de France aux Tremplins de la Jeunesse. Nous avons aussi joué au Parc Royal de Bruxelles pour l’ouverture de Bruxelles Champêtre, et nous sommes allés aux Francosessions où nous avons bénéficié de séances de coaching. J’ai également été finaliste dans la catégorie auteur-compositeur, à titre personnel mais avec les morceaux de Bruxelles Coffee Club, pour le Concours International de Chanson Française à Le Douhet. Malheureusement, je ne suis pas allé à la finale car je n’avais pas d’argent pour le train.
Vous avez donc rencontré votre public. Comment le décrirais-tu ?
Pour être honnête, notre public est un petit peu intellectuel. On est plus aimés par des gens amoureux de la littérature ou un peu plus âgés, dans la tranche de la cinquantaine.
Peut-on dire que votre public est un peu élitiste ? Car si on s’attarde sur vos textes comme « Amours Intellectuelles », ça demande quand même d’avoir les références pour vous comprendre.
C’est ce que le morceau « Amours Intellectuelles » dénonce. Comme dirait Flaubert, « Madame Bovary, c’est moi » et dans ce morceau, je suis la fille. C’est moi qui ai du mal à me détacher de cet intellectualisme sauf que moi, j’écris par jouissance donc les textes peuvent être à caractère élitiste mais ce n’est pas volontaire.
D’ailleurs, le terme ne peut pas inclure toute la production musicale car il aurait fallu avoir fait le conservatoire si on voulait vraiment s’adresser à un public similaire à l’adjectif. Nous, on a appris la musique de notre côté.