Do revenge
La vengeance est un plat qui se mange frais
Netflix ravive la flamme de la rage adolescente dans une comédie 3.0 fraiche et pimpante. Bonbon nostalgique et satire méta mordante réalisée par Jennifer Kaytin Robinson, Do Revenge a tout pour assurer la relève du genre.
Après l’épidémie de teen specials et remakes plus fades les uns que les autres ( The Kissing Booth ou He’s All That entre autres), Netflix s’éloigne de la production moyenne typée « téléfilm », facile et oubliable, et donne vie à un vrai projet ambitieux : remettre au goût du jour le teen movie d’antan. Ni horrifique, ni dystopique, ni romantique, ni dramatique, mais bien une pure comédie pour ados. Et ce n’est pas une mince affaire. Les concurrents notables de cette catégorie se comptent sur les doigts d’une main et sont déjà presque d’une époque révolue1 . Le climat culturel post-MeeToo et post-pandémique, ainsi que l’accélération effrénée du cycle de tendance à l’air TikTok représentent un risque accru de tomber dans le cruellement cringe et tragiquement ennuyeux. Do Revenge , réalisé par Jennifer Kaytin Robinson ( Someone Great ), relève brillamment le défi. Armée d’un casting cinq étoiles – Camilla Mendez ( Riverdale ), Maya Hawke ( Stranger Things ), Austin Abrams ( Euphoria ), Alisha Boe ( 13 Reasons Why ), Rish Shah ( Ms. Marvel ) – Robinson nous donne le multiverse of madness adolescent qu’on n’attendait pas mais que, ô combien, nous méritons.
Déchue de son statut de reine de promo après la fuite de photos intimes destinées à son (ex) petit ami, Drea (Mendez) rencontre Eleanor (Hawke), nouvelle élève elle aussi tourmentée par les rumeurs concernant sa vie sexuelle. Échangeant leur histoire, les deux parias de l’école concluent un pacte secret pour « faire » la vengeance l’une de l’autre. L’intrigue, inspirée de L’inconnu du Nord Express de Hitchcock, titillera d’emblée les initiés du genre teenage des années 80, 90 et 2000. Avec l’anarchie de Heathers , le mordant de Lolita Malgré Moi , la riposte sororale de John Tucker Doit Mourir , la satire sociale de But I’m a Cheerleader , Robinson rend clairement hommage aux classiques. Mais ces références ne représentent pas une barrière, et encore moins le seul attrait du film. Au contraire, Do Revenge offre plusieurs niveaux de lecture. Madeleine de Proust pour certains, elle fonctionne tout aussi bien en bonne comédie légère du vendredi soir, accessible aux novices. À l’image de la voix off qui ouvre le récit (exutoire emblématique de l’existentialisme adolescent), les ressorts narratifs allient ici le neuf et l’ancien pour réunir les générations, et surtout, parler de notre réalité.
Le film rassemble deux protagonistes marginalisées personnifiant les angoisses d’aujourd’hui. Et le contexte a toute son importance. Nudes, sex tape, revenge porn, hashtags… Malgré l’esthétique rétro fantasmagorique et les clins d’œil nostalgiques ( dont l’iconique scène de makeover , bien sûr ), l’histoire se déroule bel et bien dans les années 2020. Contrairement à bon nombre de teen movies récents, Do Revenge ne durcit pas le trait pour être « djeunes », mais commente de manière pertinente la culture actuelle. Un bon indicateur en est le traitement de la technologie à l’écran. Dans ce récit, elle ne constitue pas simplement le fil narratif principal ou un gimmick , mais est tissée avec subtilité dans le monde fictif. Bien que clairement ancrée de l’air du temps, cette nuance maintient un côté plus intemporel que les gros sabots de The Perfect Date ou He’s All That, par exemple – tellement obstinés à être « ultra-modernes » qu’ils tombent presque instantanément dans le ridicule. Ici, on est dans le contemporain tout en gardant une portée universelle.
Et c’est dans ce tissu de maux actuels que les (anti)-héroïnes évoluent avec hargne et humour. Drea et Eleanor sont des personnages féminins imparfaits, fissurés, drôles et forts, n’hésitant pas à commettre des actions moralement répréhensibles, que ça plaise ou non. Animées par la vengeance , elles se retrouvent parfois rattrapées par leur vulnérabilité et leurs conflits internes, souvent dans des situations rocambolesques. Seul point négatif pour Drea et Eleanor : leurs sentiments et motivations envers leurs potentiels partenaires amoureux respectifs (surtout Eleanor) manquent un peu de développement. Mais la raison d’être du film étant tout de même le conflit, ceci est vite oublié. Et qui dit conflit, dit homme blanc cis hétéro.
Le fameux ex et roi de promo soi-disant woke , Max Broussard (Abrams), personnifie le charmant « nice guy 2 » (accent sur les guillemets) en utilisant les codes culturels actuels pour sa satisfaction personnelle. Encore une fois, le contexte est amené avec brio. Fini le footballeur hyper masculin des années John Hughes, place au beau gosse pseudo-sensible à l’expression de genre millimétrée3 . Mèche soyeuse, dentelle, rubans, boucles d’oreille, vernis à ongles… Il performe à merveille une masculinité déconstruite, ouverte, plus féminine. Mais le fond ne rejoint pas la forme. Sous ses faux airs d’Harry Styles discount et les beaux discours d’« allié », l’ironie froide d’un manipulateur toxique, misogyne et égoïste transpire. En outre, ce double visage est d’autant plus percutant lorsqu’on connait l’acteur sous son rôle de timide au grand cœur (dans Euphoria et Dash & Lily notamment). Un coup de maître d’écriture : ni trop exagéré, ni trop subtil, juste assez forcé pour faire rire et grincer des dents.
Au-delà des personnages, l’indéniable réussite de Do Revenge est sa direction artistique. En totale opposition par rapport aux récents teen Netflix specials cités plus haut, paradoxalement blafards et sursaturés à la fois, on retrouve enfin quelque chose de vivant et de réellement beau à regarder. On doit cette prouesse à un excellent travail de design entre les décors, le maquillage, l’étalonnage et les costumes, mené par Hillary Gurtler4 . Tout est hyper stylisé mais cohérent, intentionnel et ludique. Premièrement, le fait que l’action se déroule à Miami – lieu habituellement associé à la classe moyenne vieillissante ou aux séries policières années 80 – apporte une touche de nouveauté et d’inattendu, tout en sublimant l’esthétique mi-académique mi-balnéaire pop et nostalgique. Les costumes détaillés, distincts et variés brillent sous le soleil de Floride. Que ce soit la pléthore de motifs, textures, paillettes et accessoires dans les scènes de fête ou les uniformes à carreaux de couleur pastel parfaitement taillés à la Clueless, ils amènent de la fantaisie tout en laissant la place aux personnalités. Le tout est magnifié par la bande son : des classiques de Kim Wilde ou The Cranberries, aux nouveaux talents déjà cultissimes comme Olivia Rodrigo, Rosalía et Billie Eilish.
Néanmoins, Do Revenge ne fait pas dans la parodie ou le réchauffé, ni dans le 100% sérieux. C’est dans l’hommage, et surtout dans le juste milieu entre l’authentique et l’absurde que le film fonctionne : l’essence même du Camp5 et une bonne dose de second degré, essentielle en ces temps de crise. Et c’est ça, le tour de force : mettre en scène une intrigue et des personnages théâtraux et excessifs (on pense au caméo de Sophie Turner notamment), avec une avalanche de références pop, tout en maintenant l’équilibre entre l’humour et la sincérité. Et c’est dans le troisième acte que tout ceci se manifeste. Dans un festival de jeux de manipulation et de coups bas, on ne sait plus où donner de la tête. Qui porte le masque ? Qui déteste qui ? Qui est le vrai méchant ? Sans spoiler, il faut s’attendre à un dénouement de l’intrigue un peu tarabiscoté – une résolution à la Scooby Doo qui rappelle d’ailleurs les teen thrillers des années 90. Malgré la conclusion un peu tirée par les cheveux, on se laisse emporter dans les dilemmes moraux et la surenchère de révélations.
Finalement, ce n’est pas tant une histoire de vengeance, mais un conte satirique sur le trauma adolescent et la soif de justice. Et bien que les thématiques soient lourdes et sensibles, le film ne lésine jamais sur le divertissement, et ça, ça change tout. Pertinent et généreux, frais et mordant, Do Revenge charmera tant un jeune public novice que les millenials en quête de nostalgie. Et même pour les spectateurs les plus aguerris, on se laisse surprendre et on s’égare avec plaisir dans la spirale infernale de références pop. À parcourir sans modération.