Du divin au réel
Pour sa première bande dessinée, Lison Ferné nous emmène dans un monde merveilleux, entre fable politique et parcours initiatique.
La Déesse requin de Lison Ferné, publié aux éditions CFC, raconte l’histoire d’un univers polarisé entre le monde des dieux et des déesses de la mer et celui des humains. Le roman graphique suit le parcours de Dahut, fille de la déesse Bodhisattva, qui décide de transgresser la frontière entre ces deux espaces afin d’assister à une fête en l’honneur des dieux.
Si la dimension mythologique de la narration aurait pu lui donner un aspect figé, il s’agit bien de l’histoire d’une transition entre enfance et âge adulte, où Dahut se trouve confrontée aux illusions dont elle a été bercée et à la réalité d’un monde dont elle a une connaissance très hypothétique. En découvrant le monde des humains, l’héroïne découvre un monde destructeur, cruel, dans lequel sa naïveté n’a pas sa place. Au fond, si Dahut reste un personnage fantasmagorique, elle n’en est pas moins une jeune fille à qui chacun.e peut s’identifier, dans la mesure où elle est traversée par les thèmes de l’adolescence, de la remise en question de l’autorité, de sa propre innocence et de de ses rêves.
Plus encore, l’histoire résonne tout particulièrement avec le thème de l’adolescence telle qu’elle peut être envisagée aujourd’hui, c’est-à-dire comme force subversive. La jeune autrice porte dans son récit des sujets écologiques forts et une vision de l’engagement qui tend vers la résilience. Pour cette raison, la Déesse requin est une histoire centrée sur la transition : du monde aquatique au monde terrestre, de la pérennité à la mortalité, des chimères au réel. La bande dessinée pose des questions fondamentales pour aborder les enjeux écologiques actuels : que faire, quand nos rêves s’avèrent des illusions, sinon se forger de nouveaux rêves ? Comment changer le réel afin de le rendre davantage en adéquation avec nos idéaux ? Ces questions sont implicitement au centre de l’engagement des plus jeunes générations dans la construction d’un « monde d’après », avec Greta Thunberg en figure de proue.
Esthétiquement parlant, j’ai une affection particulière pour le travail de Lison Ferné dans cet album : la bande dessinée est entièrement réalisée à la plume et à l’encre de chine, ce qui met l’accent sur les mouvements et l’expressivité du dessin. L’univers marin qui est développé, au-delà de l’histoire, est superbe. Les originaux sont d’ailleurs actuellement en exposition à la maison CFC jusqu’au 5 septembre. Pour ma part, j’attends avec impatience les futurs projets de l’artiste !