Écrire l’instantané, chanter la sincérité
Si Renaud est bien connu de Karoo grâce à son duo Alaska Gold Rush 1 , c’est de son projet solo Elvin Byrds qu’il discute ici avec son homologue liégeois (David Lombard) après un concert en première partie de Quentin Dujardin et Didier Laloy au Centre Culturel de Chênée. Ce qui s’ensuit sur la toile est un alignement d’astres de leurs projets et intérêts respectifs, qui préservent des teintes de littérature et musiques nord-américaines, mais avec une certaine nostalgie pour leurs racines francophones encore trop timides.
Renaud Ledru est un auteur-compositeur et interprète sauvenièrois résidant à Bruxelles. Il lance son projet duo (guitare, chant et batterie) d’ indie rock Alaska Gold Rush fin 2013, accompagné de Nicky Collaer à la batterie depuis 2018. Outre trois autres EPs, ce dernier produit les albums Wild Jalopy of the Mist en 2016 et Camouflage en 2020. Elvin Byrds naît suite à son envie de retourner aux racines épurées de la musique country-folk nord-américaine : une guitare acoustique, une voix, et des histoires. Sous le nom Elvin Byrds, Renaud sort les albums Riot en 2019 et le nouveau Togetherness en 2021, les deux via le label liégeois Luik Records mais créé à la maison, avec un visuel réalisé aux côtés de sa compagne, l’artiste Mary Autumn. Tout comme Renaud, ces deux disques transpirent l’authenticité, l’honnêteté et la mélancolie du folk songwriter ((Auteur-compositeur de musique folk nord-américaine. )) qui n’a que pour chaleur réconfortante le projecteur d’une petite salle obscure.
DL = David Lombard
RL = Renaud Ledru
MA = Mary Autumn
DL : Quelle est la genèse de ton projet solo Elvin Byrds ?
RL : Il s’agit d’un projet que j’ai lancé en 2018-2019 alors que j’avais déjà le duo Alaska Gold Rush depuis quelques années. L’envie m’est venue de relancer un projet dans lequel je pouvais être juste à la guitare et au chant. J’avais déjà des projets avec exclusivement de la guitare et de la voix auparavant et j’aime le côté acoustique de l’instrument. Par ailleurs, la création du projet coïncidait avec une période durant laquelle j’ai arrêté le boulot de manager chez Sibelga à Bruxelles que j’avais sur le côté pour me concentrer sur la musique. À ce moment-là, j’ai eu une véritable épiphanie musicale en écoutant du free jazz et je me suis dit qu’il était temps de quitter cet autre boulot. Avoir un autre projet qu’Alaska me permet aussi d’avoir d’autres concerts et des opportunités différentes.
DL : Et d’où vient le nom « Elvin Byrds » ?
RL : Quand j’étais à fond dans l’univers free jazz , j’écoutais beaucoup John Coltrane avec Elvin Jones à la batterie que je trouvais génial. Le « Elvin » c’est donc en hommage à Elvin Jones. Je suis un grand fan de batterie, sans pour autant en avoir beaucoup joué. Après de multiples combinaisons le « Byrds » est venu. J’aime assez bien le groupe The Byrds et je trouvais cool l’idée de l’écrire comme le nom de ce groupe qui signifie « oiseaux » et entend un lien avec la nature mais avec une orthographe différente.
DL : Parlant de jazz, rien à voir avec Charlie Parker, alias Bird ?
RL : Ça aurait pu mais en fait non, peut-être inconsciemment…
DL : Outre le free jazz , qu’il est peut-être difficile de percevoir directement dans ta musique, quelles sont tes influences principales ?
RL : Pour tous mes projets, j’ai l’impression que l’inspiration et les influences restent identiques. Pour Elvin Byrds, on est clairement dans la veine folk américaine du genre Ramblin’ Jack Elliott2 , qui est pour moi la crème de la crème de ce style que j’affectionne particulièrement. Il a ce côté un peu traditionnel qui vise à triturer des trucs anciens et de les faire à sa sauce, un style de jeu en fingerpicking 3 et une approche narrative qui collent bien avec mon projet. J’écoutais beaucoup de country, que j’ai mélangée avec des musiques plutôt afro-américaines, notamment des passages un peu « bluesy ». L’inspiration première provient essentiellement de Ramblin’ Jack Elliott, Bob Dylan et de la folk nord-américaine en général.
DL : Pourrais-tu dire quelques mots sur ton nouvel EP Togetherness et sur ton processus d’écriture ? En quoi était-il différent de ton premier opus ?
RL : Le premier album est sorti avec le label Luik Records, qui m’a dit ensuite que, si j’avais encore des chansons à leur proposer, ils étaient preneurs. En général, j’ai besoin d’un objectif, ce qu’ils m’ont donné. J’appelle quand même Togetherness un album même s’il n’y a que six titres car le tout reste très cohérent. Le processus d’écriture a été assez rapide lors du premier ou deuxième confinement, je ne sais plus…
DL : On ne sait plus combien il y en a eu…
RL : C’est ça, on en est au douzième là (rires). La différence avec le premier album est que le nouvel opus a été entièrement enregistré chez moi. J’aimais assez l’idée d’enregistrer tout à la maison et de choisir les moments opportuns comme quand, par exemple, j’ai un meilleur grain de voix ou un meilleur état d’esprit pour chanter ou jouer une chanson ou une autre. Vu que c’était juste de la guitare et de la voix, je m’y suis mis rapidement. J’ai eu des micros à prêter et j’ai mixé par la suite avec l’ingénieur du son d’Alaska Gold Rush , Gaethan Dehoux. J’ai aussi rajouté des habillages, des petites ambiances pas trop alambiquées dans l’album, comme de la pluie et des petits bruits bizarres. Je me suis un peu amusé et c’était assez particulier par rapport à ce que j’avais déjà fait avant, c’est-à-dire aller une fois en studio et puis c’est tout ici j’ai pris un peu le temps.
DL : Vois-tu ce deuxième album comme une suite ?
RL : Non, pas vraiment. Il y a une espèce de cohérence mais il n’y pas vraiment de suite entre les histoires ou les albums. Le premier album comprenait plusieurs morceaux que j’avais plutôt écrit avec le temps. Togetherness n’est pas un album-concept4 mais est cohérent dans l’ensemble.
DL : La tradition folk américaine dont tu as parlé étant souvent narrative, vouée à raconter des histoires, parfois autobiographiques ou personnelles, parfois pas, où est-ce que tu situerais tes textes par rapport à cette tendance ? Ou alors sont-ils politiques ?
RL : Je ne sais pas trop, je pense que c’est un mélange d’un peu tout cela. Le premier album était plus « politique » sans pour autant être trop cliché ou évident. Il parlait un peu de thèmes vraiment variés comme le non-sens du métro-boulot-dodo, le burn-out , les migrants, ou l’environnement. Dans Togetherness , ce que j’ai trouvé cool et que je fais depuis pas si longtemps, c’est d’essayer d’écrire des morceaux qui ne parlent pas de thèmes généraux mais d’un élément spécifique d’un thème en particulier. C’est un peu difficile à expliquer mais, par exemple, si tu veux écrire une chanson sur l’amour, le réflexe est de parler de l’amour en général. En fait, ce qui est cool c’est de parler d’un instant en particulier qui signifie que c’est de l’amour. Pour Togetherness , le thème est le vivre-ensemble, donc je parle essentiellement de souvenirs de relations familiales, amicales et amoureuses et je prends des points précis pour parler de ce thème général. Même pour parler d’une personne, j’aime autant parler d’un quart d’heure qui a été vécu avec cette personne, ce qui au final, selon moi, lui rendra plus grâce. Je vise donc plus la précision que l’universalisme.
DL : C’est intéressant parce que tu citais l’exemple pendant ton concert de ton départ en vacances avec tes parents, du conditionnement dans la voiture avec ton père qui mettait de la musique, et c’est un genre de situation qui peut aussi parler à beaucoup de gens et donc tirer vers une forme d’universalisme, un peu comme Dylan l’a beaucoup fait.
RL : Oui, ça peut le faire. Je pense que l’on peut être plus expressif et efficace en utilisant des évènements précis que des mots un peu vagues. Par exemple, pour dire « convivialité », je ne vais pas utiliser le mot mais plutôt parler d’un moment où j’étais à table en train de boire un verre avec des amis. L’image permet de comprendre « convivialité » et est d’autant plus forte. C’est un exemple d’une des techniques que j’essaie de développer dans mon écriture et que je n’avais pas encore vraiment pratiquées jusqu’à maintenant.
DL : Écris-tu les paroles après la musique ou parfois avant, ou les deux ?
RL : Cela dépend. Ce que je préfère, c’est quand tout vient en même temps et cela arrive assez régulièrement. Avec ce thème récurrent du vivre-ensemble, les textes sont venus rapidement, en quelques semaines, et dans la même fournée. C’est rare que j’aie un carnet avec plein de textes que je travaille au fil du temps. Ça arrive mais, en général, je travaille plus avec des instantanés : je suis dans un état d’esprit, je compose de la musique et j’écris plein de textes, puis je les mets ensemble et tout ça sur un laps de temps assez restreint.
DL : Comme tu l’as déjà mentionné, tu es aussi leader d’un autre projet qui s’appelle Alaska Gold Rush. Comment ça se passe de ce côté-là ?
RL : Bien, on a sorti un deuxième album juste avant le Covid donc c’était un peu chaud niveau timing (rires). On a un peu joué mais la crise sanitaire nous a coupés dans notre élan. Cette période m’a aussi motivé à écrire plein de chansons, et donc on a un disque qui sortira en avril 2022. Pas mal de dates de concert vont tomber aussi, on va sortir l’album avec des petits labels qu’on apprécie en France et ailleurs, ça se construit petit à petit.
DL : Qu’est-ce que tes deux projets t’apportent respectivement au niveau personnel ?
RL : Si je pouvais rêver, je n’aurais qu’un seul projet musical et je ne me fatiguerais pas à réfléchir où telle ou telle chanson irait, car c’est un peu plus calme ou dynamique. Par exemple, je réfléchis à écrire des morceaux en français qui ne colleront probablement pas aux deux autres projets. Beethoven ne s’est pas dit qu’il allait changer de nom parce qu’il faisait une sonate.
DL : C’est un bel exemple (rires) !
RL : C’est un bon exemple, oui (rires) ! Non mais j’aimerais bien avoir un nom de scène et écrire uniquement pour un seul projet. Même un album jazz ou un album hardcore pourrait figurer sous mon nom, ce serait assez cool. Malheureusement, ça ne s’est pas fait comme ça et ça ne se fait pas comme ça.
MA : Après tu seras peut-être célèbre à 83 ans comme Leo « Bud » Welch5 , et ça ira tout seul, faut juste être patient !
RL : Maintenant il y a aussi le mec de Oh Sees (John Dwyer), qui change l’appellation de son groupe sans arrêt, à chaque album6 . Je trouve cette désinvolture assez cool aussi : l’idée de sortir des albums avec les noms qu’on veut quand on en a l’envie. Pour en revenir à ta question, j’ai eu beaucoup de projets seul avant Alaska, puis je me suis dit que jouer avec quelqu’un ça me plairait aussi, puis après un moment j’ai voulu rejouer seul à nouveau. Tout ça pour dire que les deux projets m’apportent quelque chose : le côté ambiance calme du solo et le côté tendu, énervé, qui monte et qui descend d’Alaska.
DL : Je comprends tout à fait ton point de vue, et je fais face au même dilemme dans mon projet qui porte mon nom (David Lombard). Avoir d’autres projets, ça permet de s’ouvrir à d’autres scènes aussi, non ?
RL : Oui, mais le problème est que ça m’oblige à recommencer tout à zéro au niveau de l’image et de la promotion.
DL : Tu me parles d’écriture en français, c’est pour bientôt ?
RL : Oui, là j’ai fait un test avec des musiciens il y a deux semaines. J’ai commencé par tout composer en guitare et voix mais j’aimerais avoir un groupe derrière pour que ce soit plus dynamique. Je suis motivé mais je préfère dormir un peu dessus et voir ce que je vais en faire.
DL : Ce sera avec un f ull band alors, avec batterie, basse… ?
RL : Oui, il y aura une guitare électrique en plus de la mienne, une basse, et une batterie.
DL : Ce sera donc assez rock ?
RL : Oui. À vrai dire, j’imaginais un truc très années 1960, qui sonne comme un train. Au final, ce sera plus calme que ça je pense.
MA : C’est quand même bien rock.
RL : Ce n’est pas comme je l’avais en tête, c’est un peu plus soft , avec des teintes rythmiques d’origine africaine. Ça me motive pour le moment en tout cas.
DL : Le français, ça doit être une tout autre approche. J’imagine que tu (ré-)écoutes d’autres groupes qui chantent en français pour te donner de l’inspiration ?
RL : Oui, un petit peu. En fait, j’ai eu un flash lors d’un concert d’Elvin au mois de mai, où il y avait plein de gens, un peu comme ici (Centre Culturel de Chênée). Je ne veux pas être méchant mais le public consistait essentiellement en des personnes âgées. C’était vraiment chouette, ils sont super attentifs et rigolent à mes histoires, mais ils ne comprenaient rien aux textes de mes chansons, qui sont pourtant si importants, mais écrits en anglais. Pour cette raison, je pense que je pourrais attirer plus l’attention des gens en écrivant des paroles chouettes en français, c’est-à-dire pas des trucs trop alambiqués du style de la poésie française mais des paroles qui me ressemblent plus. J’en parlais justement à Quentin Dujardin et il ne me suggérait pas de ne pas écrire en français, mais il me disait que c’est une chance de pouvoir écrire et chanter en anglais car cela permet une ouverture sur le monde entier.
DL : Il y a des points positifs et négatifs dans les deux.
RL : Oui, mais le milieu est beaucoup plus réduit en français. C’est la France, la Wallonie et Bruxelles. C’est bon, j’arrête le français (rires).
DL : Il y a le Québec aussi !
MA : Oui le Québec aussi, puis dans les pays anglo-saxons, le français c’est underground , c’est-à-dire qu’il n’y a peut-être pas un très grand public mais ça reste intéressant pour pas mal de gens aussi. Au Japon et en Chine, ils adorent le français, et tu peux quand même avoir un public conséquent en chantant en français.
DL : Pour passer à autre chose, avec Elvin tu joues autant à la guitare qu’au banjo, à l’harmonica…
RL : Oui, au banjo, c’est juste pour m’amuser, car je n’ai pas la réelle technique de jeu en fingerpicking car il est super bizarre.
DL : L’ Earl Scruggs style 7 ?
RL : Oui, c’est super compliqué. J’adore le banjo cela dit, j’ai grandi en l’écoutant. J’ai fait de l’épinette des Vosges8 , c’est un instrument traditionnel avec juste un manche de guitare. Je ne l’ai pas enregistré mais j’en joue. Je fais un peu de batterie, du piano et de l’harmonica aussi, mais c’est juste pour le fun.
DL : À la guitare, tu joues en open tuning 9 , et tant en fingerpicking qu’en strumming 10 j’ai entendu.
RL : Oui, d’ailleurs c’est le côté un peu pénible car j’ai plein d’accordages différents et je dois très souvent me réaccorder. J’essaie d’agencer mon concert pour que ça passe. Néanmoins, je m’en fiche un peu de l’impact que cela peut avoir maintenant. On a vu récemment Adrianne Lenker de Big Thief en solo en guitare/voix, elle s’en fiche complètement et s’accorde parfois pendant dix minutes sans parler beaucoup. Elle change d’accordage tous les trois morceaux aussi. Je pense qu’en fait il ne faut pas s’inquiéter car les gens devant nous ne s’inquiètent pas non plus.
DL : Tant que ça ne dure pas trois heures…
RL : Oui, dans une certaine mesure c’est clair (rires).
MA : Tu racontes des blagues, donc ça peut durer trois heures !
DL : Ces changements d’accordage, par exemple, font-ils partie des choses que tu t’« imposes » dans ton processus de création ?
RL : Ils me permettent, pour chaque nouveau disque, de trouver d’autres sonorités et de varier un peu. Pour Togertherness , c’est beaucoup de l’accordage standard, contrairement aux premiers disques d’Elvin et Alaska.
DL : Par rapport aux visuels, tant des albums que du clip vidéo de « Barefoot » que vous avez réalisé ensemble, comment vois-tu ta collaboration avec Mary, qui est aussi ta compagne ?
MA : Le lien, c’est déjà qu’on est ensemble, ce qui aide beaucoup pour la créativité car on peut échanger régulièrement nos idées sur nos créations respectives.
DL : Le visuel du premier album s’inspire de la peinture japonaise, non ?
MA : Ça fait très Hokusai11 , oui, ça ressemble bien aux vues du mont Fuji, mais mes sources d’inspiration sont multiples. Quand on a réalisé la première pochette, on revenait d’un voyage à Vienne, où on avait vu beaucoup d’affiches de la période 1900-1920. J’ai conjugué ces idées avec une inspiration un peu orientale. Le thème de l’album Riot m’évoquait une explosion, une tempête, ou une mer déchaînée. Après avoir entendu ce que voulait Renaud, j’ai visualisé ce que ça pouvait donner et le résultat est arrivé assez vite. À l’arrière, on a aussi mis des fleurs de cerisier, qui allaient bien avec le reste.
DL : Et pour « Togetherness » ?
MA : J’ai réalisé un dessin avec une seule couleur, comme pour Riot . On a démarré avec le mot Togetherness , j’ai fait plusieurs essais ici en prenant comme idée de départ la « timidité des arbres ». Il s’agit d’un principe dans les forêts : quand les arbres grandissent, ils grandissent tous en prenant le plus de place possible mais en respectant une légère frontière entre les uns et les autres pour ne pas se toucher. Ils prennent donc beaucoup de place, mais chacun a son espace. Ce principe allait bien avec l’idée d’être ensemble et on a donc fait comme si on était couchés dans une clairière et comme si on regardait les arbres sous un ciel étoilé pour aussi évoquer un lien avec la nature, ce qui est important pour Renaud.
DL : L’idée d’être ensemble est aussi un des thèmes du clip de « Barefoot », pourrais-tu en dire quelques mots ?
RL : Pour les clips, j’imagine toujours quelque chose de très scénarisé avec une vraie histoire, et de pas toujours évident. Il y avait beaucoup d’idées car le morceau parlait d’une dame avec des rêves et chaque partie du morceau explique des sections d’une histoire qui pourraient constituer un film. On aurait pu prendre un acteur mais on a trouvé ça intéressant de le faire ensemble.
MA : C’était le confinement aussi, donc on s’est dit : « Si on pouvait faire le clip, qu’est-ce qu’on ferait ? » Le scénario de Renaud n’était pas très faisable, au départ, avec des montgolfières et tout… laisse tomber (rires) ! On s’est dit qu’on pouvait quand même tout réaliser en « faux », avec des maquettes. Ça prend beaucoup de temps, mais ça nous a permis de réaliser toutes les images de ce qu’on ne pouvait pas faire en vrai.
RL : Ce qui était aussi important, c’est qu’on ne voulait pas de numérique et qu’on voulait tout animer nous-même.
DL : C’est intéressant car la touche « fait maison » ajoute de l’exclusivité. J’ai souvent un sentiment de « déjà-vu » quand je regarde pour la première fois des clips produits avec un énorme budget…
RL : Oui, c’est vrai. Là on voulait du « fait maison », qui est aussi à l’image de la musique que je compose. On a passé quelques belles semaines qui m’ont donné une belle tendinite à force de couper du carton avec un cutter (rires) ! Mais c’était une chouette expérience…
DL : Ton poignet s’en souviendra.
RL : Ça, c’est clair (rires). Heureusement qu’il n’y avait pas de concert à ce moment-là…
DL : Bon, la question fatidique : comment as-tu vécu le confinement personnellement et par rapport à la composition et à la musique ?
RL : Tout ça m’a déprimé et n’a pas aidé ma vision pessimiste du monde, d’autant plus que le confinement a vraiment compliqué la sortie du disque d’Alaska, alors que c’était déjà difficile avant. D’un autre côté, le premier confinement et son incertitude m’ont permis de ne rien faire d’autre que de la musique. À mon métier d’auteur-compositeur et interprète s’ajoute aussi du travail administratif pour trouver des concerts et pour la promotion, que je trouve vraiment pénible. À ce moment-là, le travail administratif était inutile, et j’ai donc pu reprendre du temps au quotidien pour jouer plus. J’ai aussi beaucoup écrit, notamment pour un roman. L’avantage du confinement est qu’on a du temps et surtout pas d’échéances stressantes, c’est juste du plaisir.
DL : Une question liée au côté administratif un peu déplaisant : ta structure professionnelle (le label Luik Records, par exemple, ou un éventuel tourneur) t’apporte-t-elle de l’aide pour exécuter ces tâches fastidieuses ?
RL : Un booker (ou tourneur)12 va certainement aider à trouver des concerts, mais il faut quand même lui envoyer des idées régulièrement, chercher des salles où on pourrait jouer, et regarder les tournées des autres artistes. J’ai un peu un boulot « de l’ombre » qui consiste à m’assurer que tout le monde sera efficace dans sa tâche respective. Le label gère vraiment bien le travail de distributions physique et numérique ainsi que l’édition pour nous faire passer dans des playlists et à la radio, mais je dois aussi être là derrière pour avoir un agenda défini par exemple, ou trouver un attaché de presse. C’est toujours moi qui devrai développer la stratégie du projet. La structure apporte, par exemple, du crédit avec le nom et le réseau, mais ce n’est plus comme avant où l’artiste pouvait se consacrer entièrement à la musique.
DL : Un mot pour la fin : des projets pour l’avenir ?
RL : Le projet en français est une priorité dans ma tête. Depuis deux ans, j’écris beaucoup aussi. J’ai plus ou moins fini un premier roman et je suis en train d’en terminer un autre. J’ai beaucoup d’idées mais le temps me manque… Si je n’avais pas tout le travail administratif de mes projets musicaux, je pense que je pourrais écrire encore plus et encore plus rapidement. J’ai envie d’écrire plein de choses, dont des scénarios de films et des pièces de théâtre. Il faudra juste trouver le temps.
DL : Lis-tu toujours autant depuis tes études et cela a-t-il une influence quelconque sur l’écriture de tes chansons ?
MA : De plus en plus (rires) !
RL : Je me remets à lire des livres en français pour l’instant. À la fin de mes études jusqu’à il y a plus ou moins un an, je ne lisais qu’en anglais. Les livres en français que je lisais avant étaient des livres et des essais sur l’histoire de la musique, du jazz, du blues, mais peu de romans. Lire des romans en français, ça m’a stimulé à écrire.
DL : Aurais-tu un livre, un film ou un album à recommander pour la fin ?
RL : Je dirais le film Le Miroir (1975) d’Andreï Tarkovsky. C’est un patchwork de scènes sur le thème du souvenir et de l’enfance. J’aimerais pouvoir un jour composer une musique aussi profonde et inspirante que ce qu’il fait dans ses films, et créer une sorte de langage unique comme il parvient à le faire.