Une série d’ado projetée dans la cour des grands
Si Euphoria traite de la sempiternelle thématique de l’adolescence et de ses turbulences, la série HBO signée Sam Levinson lui offre un regard funeste et haletant. Mais l’euphorie qu’elle éveille est-elle justifiée ?
La jeunesse internationale semble avoir trouvé sa nouvelle série culte avec Euphoria , dont la première saison est sortie en 2019. L’œuvre de Sam Levinson a réalisé des records d’audience sur HBO, tandis que sa saison 2 est devenue l’une des séries les plus tweetées de la décennie. Si elle suscite un tel engouement, c’est surtout parce que le teen show sort des lycées pour intéresser aussi les sériephiles aux rides déjà bien esquissées.
Vous reprendrez bien un peu de crise d’adolescence ?
Revenons d’abord au pitch, qui mêle au premier abord des ingrédients aguicheurs, à savoir le sexe, la drogue et le… hip-hop (cf. la bande-son sur laquelle nous reviendrons). Le spectateur suit la descente aux enfers de Rue ( interprétée par la chanteuse et actrice Zendaya qui a d’ailleurs reçu un Emmy Awards pour sa performance dans la série) : à seulement 17 ans, cette lycéenne ‒ diagnostiquée à la va-vite bipolaire à ses 8 ans ‒ s’abîme dans les substances et manque d’y passer sous les yeux de sa cadette.
La série débute lorsqu’elle sort de son séjour en cure de désintoxication, visiblement bien décidée à ressombrer illico. Au premier plan, Euphoria traite de la toxicomanie et, de manière plus générale, des addictions. Elle illustre finalement autant de thématiques qu’elle a de personnages : la recherche de sa sexualité via Rue qui se découvre bisexuelle, la transidentité à travers l’actrice Hunter Schaefer, elle-même transexuelle ‒ dont la prestation est d’autant plus remarquable qu’il s’agit de son tout premier rôle ‒, la masculinité toxique dans les yeux de l’imbuvable Nate ( Jacob Elordi) , l’objectivation du corps des femmes à travers Cassie ( Sydney Sweeney) , bimbo prisonnière de ses courbes ou encore la dépression et le rapport au corps à travers Kat (Barbie Ferreira).
Avec Euphoria, on ne tourne pas autour du pot : on plonge tête la première dans les tréfonds de l’âme humaine. Et c’est là toute sa magie : la série provoque chez le spectateur le même malaise qui irradie de ses adolescents et dresse un portrait très sombre ‒ presque opaque ‒ de cette période de vie que l’on voudrait parfois oublier. Un portrait d’infiltrés. Les expériences des adolescents ne sont ni édulcorées, ni minimisées. Alors certes, on pourra reprocher à Sam Levinson de dramatiser l’adolescence, mais ce serait oublier les émotions format XXL qui nous ont assaillis lorsque nous étions nous-mêmes adolescents. Les sentiments décuplés, les sensations d’avenir bouché, les tragédies amoureuses... Grâce à des gros plans omniprésents, le spectateur pénètre dans les pores des personnages pour mieux s’y identifier ‒ ou, en tous cas, compatir plutôt que juger. Euphoria nous offre une crise d’ado par procuration visuelle, l’acné en moins.
Planant à écouter, hypnotisant à regarder
Mais Euphoria nous emmène aussi dans une autre dimension grâce à sa bande-son, qui représente l’un des personnages principaux. La playlist mêle des morceaux déjà bien connus des soirées étudiantes, de Lil Wayne à Jorja Smith, en passant par Drake (qui est aussi producteur exécutif de la série, ceci explique cela), Blood Orange ou encore Anderson Paak. Mais aussi des compositions originales (26 en tout), réalisées par l’artiste britannique Labrinth, bien obsédantes comme il faut : avec notamment All for Us, dont les influences trap vous plongeront directement dans l’ambiance noirâtre, et à laquelle participe la voix de Zendaya, l’actrice qui joue Rue donc (ah, ces slasheurs !). Les spectateurs sont invités à planer sur des morceaux hypnotisants, tandis que Rue et sa bande optent pour d’autres paradis artificiels.
Sam Levinson a aussi misé sur des scènes audacieuses et percutantes, notamment en faisant apparaître des personnages fantasmagoriques sortis tout droit du psychisme percuté des héros. On pense notamment au final de la saison 1, où Rue rechute et se lance dans une chorégraphie mortifère accompagnée de ses démons : illustration terrifiante et magnifique du cycle de la folie et de la dépendance. Le second épisode de la saison 2 voit le personnage de Kat en pleine conversation avec des influenceuses tyranniques du mouvement body positive. Enfin, l’épisode 7 de la saison 2 innove aussi en parodiant la série sous forme de pièce de théâtre jouée dans le lycée : chaque comédien incarne alors l’un des héros de la série, pour mieux caricaturer ses failles et ses insécurités. Une mise en abîme mi-drôle, mi-malaisante.
La photographie se veut quant à elle sur-stylisée, avec des plans inspirés ouvertement des œuvres de Sofia Coppola, cette dernière partageant avec Sam Levinson le même goût de la représentation d’une adolescence intime et dramatique, notamment dans Virgin Suicides. Les images sont obscures, nous donnant une idée du chaos mental des personnages. Quand soudain, la lumière vient frapper l’objectif : métaphore de la montée de la drogue qui vient apporter un shot de bonheur à ses ados naufragés.
Tout du long, des touches de couleur viennent contraster la noirceur de l’écran : un néon rouge ici, des manèges multicolores ou un fard à paupière fuschia par là. Les maquillages sont d’ailleurs somptueux : Euphoria envoie des paillettes sur les yeux de ses acteurs, et manque parfois d’aveugler le spectateur, qui, bien que subjugué, peut se voir révulsé par tous ces effets de style. Ainsi, Euphoria se consomme avec modération : elle nécessite de reprendre sa respiration entre chaque épisode, au risque de frôler l’overdose.