critique &
création culturelle

Europalia Turkey

Pascale Fonteneau Vues d’Istanbul

Lorsque l’organisation du festival Europalia a réfléchi à un auteur belge pour une résidence à Istanbul afin de rencontrer Ahmet Ümit, elle a pensé à Pascale Fonteneau. D’abord parce que c’est une auteure de romans policiers reconnue, tout comme Ahmet Ümit. Mais pas seulement.

La saison culturelle Europalia Turkey bat son plein sur Karoo : nous vous proposons un regard hebdomadaire sur la programmation, à travers toutes les disciplines artistiques, jusqu’à la fin de janvier 2016.

Pascale Fonteneau

Pascale Fonteneau est aussi l’ancienne directrice d’Entrez lire, l’aile francophone de Passa Porta, la Maison des littératures étrangères de Bruxelles, ce qui fait d’elle, en effet, la candidate idéale pour une telle expérience.

Cette semaine, la galerie de Karoo publiait les impressions de Pascale Fonteneau sur son expérience sur les rives du Bosphore. Aujourd’hui, nous lui tendons le micro.

Vous êtes partie une semaine à Istanbul. Comment s’est organisée cette résidence ?

Bozena Coignet, qui travaille pour Europalia, m’a proposé de faire un échange avec un écrivain turc, Ahmet Ümit. Il était question d’aller là-bas et que lui vienne à Bruxelles. On n’avait pas beaucoup plus de précisions. Ce qui était sûr, c’est qu’on allait se rencontrer, une fois à Bruxelles et une fois à Istanbul.

Ahmet Ümit

Je suis parti une semaine, logé dans un lycée où l’on enseigne le français. Un vrai lycée turc, mais où une partie de l’enseignement se fait en français. Pas une école pour expatriés du réseau officiel des Lycées français. C’était un lycée vraiment intégré à la société stambouliote.

J’avais proposé d’animer des ateliers d’écriture. C’était rigolo. Évidemment, leur niveau de français n’était pas parfait, donc on a fait des choses simples. Mais c’était très chouette. Fréquenter de près ces enfants m’a donné certains codes de ce pays qu’on ne parvient pas toujours à sentir lorsqu’on se contente de faire du tourisme. J’ai donc partagé mon temps sur place entre les ateliers et traîner dans la ville. C’est mon mode de visite préféré.

Donc, traîner plutôt que visiter à tout prix ?
On a peu de temps sur place, donc on a le choix entre rentrer dans les circuits touristiques, avec le Routard sous le bras, pour être sûr de voir ce que tout le monde verra ; ou alors, traîner dans la ville. Évidemment, ces flâneries ont toujours un but, mais elles laissent plus de liberté, les étapes changent au fil de la balade. Les rares fois où j’ai voulu visiter, cela a été difficile, notamment dans le quartier historique de Sultanahmet, bondé !

Évidemment, si j’avais pu visiter, ça m’aurait fait plaisir mais finalement, ce qui m’intéresse, au-delà de la culture, ce sont les gens. Observer les habitants, qui en disent beaucoup sur la ville qu’ils peuplent, est très instructif. Et de ce point de vue-là, il y avait autant à faire autour des monuments historiques qu’à l’intérieur.

Il ne faut pas se leurrer quand même : on reste enfermé dans son statut de touriste, et l’on est tout de suite identifié comme tel. Parfois pour un bien, parfois pour un mal. Mais c’est comme ça, on reste à sa place, il n’y a rien à faire. Du coup, l’expérience dans le voisinage et à l’intérieur de mon lycée m’a donné un autre regard sur la vie quotidienne à Istanbul.

Notamment sur le détricotage dont vous vous faites l’écho.
On a les yeux ouverts, le changement est visible partout. Les gens eux-mêmes, quand on les écoute, sont dans cet état pré-nostalgique du regret de ce qui va changer. Le centre historique est évidemment colonisé par le tourisme et peu à peu transformé en Disneyland. La mondialisation est en marche partout, même à Istanbul. Du coup, les gens voyagent sans jamais se dépayser. Ils sont rassurés partout. Quand on part dans les conditions qui furent les miennes à Istanbul, on est une éponge émotionnelle. On ressent tout ça, évidemment.

Vous avez donc rencontré sur place Ahmet Ümit, auteur de polars. Vous avez naturellement parlé de Bruxelles et d’Istanbul. Vous vous êtes dit que vous aviez choisi ces villes. Comment choisit-on la ville dans laquelle on vit ?

Rue d’Istanbul

Quand on s’y sent bien. Simplement. Lui aussi vient d’ailleurs et a choisi de rester à Istanbul. En ce qui me concerne, je suis née en Bretagne, ma mère est Allemande. Une partie de ma famille vit en France, l’autre en Allemagne. Je n’ai pas de racines très profondes, mais je sais qu’à un moment, on se sent appartenir à un endroit. Moi, c’est Bruxelles.

J’y habite maintenant depuis longtemps. À la longue, sans le vouloir, on finit par avoir la mémoire de l’endroit, de tous ces quartiers qui ont changé : l’ancien quartier Léopold, celui autour de Schumann où j’habite, le quartier Dansaert où personne n’osait aller il y a encore quelques années… Alors, on finit par se sentir d’ici, ou de là, par avoir cette impression, en rentrant de voyage, d’être chez soi. S’il existait une nationalité bruxelloise, c’est celle-là que je choisirais.

Amhet partage ce rapport à l’appartenance. C’est une des nombreuses similitudes qu’on s’est découvert, en plus d’avoir choisi un genre de littérature spécifique.

Le polar, vous voulez dire ?
Quand on choisit d’écrire dans un genre particulier, il y a forcément des prédestinations, ou au moins des traits de caractère qui nous donnent cette propension à écrire dans ce genre. On en a retrouvé quelques-uns à l’occasion de notre rencontre. Ce qui nous différencie le plus, c’est peut-être le tirage de nos livres, pas tout à fait comparable (rires) .

Ces rencontres sont peut-être le sens du travail d’Europalia : montrer le patrimoine culturel d’un pays, mais aussi jeter des ponts au sein de la création contemporaine, même si elle n’est pas institutionnelle, ou recommandée par un ministère. Sans Europalia, je n’aurai jamais rencontré Hakan Günday , par exemple.

Istanbul est la capitale culturelle d’un pays où tout le monde n’écrit pas ce qu’il veut impunément. Quand deux auteurs s’y rencontrent, ils en parlent ?
Évidemment qu’on a parlé de censure et de liberté d’expression avec Ahmet Ümit. Il en a souffert d’ailleurs, lui qui a été arrêté, il y a des années, pour ses propos. On sent le poids de l’État, qui limite et verrouille la parole. Du coup, il faut parler par images et par métaphores.

On se disait que la littérature n’était pas le premier domaine artistique à subir la censure. La télévision, le cinéma sont plus vite touchés. La littérature reste un espace de liberté et de résistance. Mais le langage, dans cette culture orientale, permet de faire passer, sans avoir l’air d’y toucher, des choses très fortes. C’est à ça que peuvent servir leurs grandes métaphores, et ces tournures déguisées. C’est très intéressant d’y être confronté.

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