Frictions spatio-temporelles
Du 4 au 19 juin se déroule à Bruxelles le festival TB². Aboutissement d’une complicité de longue date entre Les Brigittines - playhouse for movement et Le théâtre des Tanneurs, le festival se consacre à la création actuelle en danse contemporaine.
4 juin 2021 : entrer dans la fraîcheur de la chapelle des Brigittines, le contraste avec l’au-dehors est saisissant. En un instant, changer de lieu. Nous entrons dans une salle plongée dans la pénombre, les sièges sont disposés de biais. Autour de certains, de grands cercles blancs tracés à la craie marquent la distance qui nous relie et nous sépare. Silence, lumière et Be a poem.
Be a poem comme amorce de la trajectoire proposée à cet endroit par le chorégraphe Pierre Droulers. Œuvre poétique réalisée en collaboration avec Sima Khatami à partir d’images d’archive, le film retrace les expérimentations du chorégraphe et des différents interprètes qui l’accompagnent au fil du temps. Le geste s'apprivoise à cet endroit à partir de son activité. Nous voyons une multitude de verbes : il y a trier, cacher, frotter, rouler, tenir, brûler, gratter, creuser, entrer en interaction avec les différents éléments et mouvements qui composent nos quotidiens. Il y a aussi le son, le rythme et le silence, le cadre et la variation du cadre. Il y a le contact des surfaces les unes avec les autres. Dans la friction entre les corps et les matières, un regard sur la manière dont se constitue et s’habite un espace se laisse progressivement apercevoir. Ce qui commence ici a déjà eu lieu ailleurs, d’une autre manière.
La performance Occupations de Pierre Droulers se donne à voir et à sentir dans l’immédiateté du présent, tout en réactivant une pluralité de temps et d’expérimentations constitutifs de la recherche formelle du chorégraphe et de ses collaborateur.ices. Les mouvements aperçus dans la projection vont se poursuivre physiquement, à la fois en et autour de nous, grâce à l’intégration progressive de ces épaisseurs de temps, de gestes et de corps à même la pièce dans laquelle nous nous trouvons.
Le travail réalisé à cet endroit émerge ainsi d’une attention aux traces et archives qui façonnent et constituent, de l’intérieur, l’intimité de cette ligne créative. Des fragments épars de cette trajectoire se mélangent : morceaux d’affects et d’intensités vécus, oubliés puis retrouvés, assemblés pour composer et recomposer l’espace occupé par les corps et leurs présences. Les gestes de Personne, de Walking with riders , de Rousse vont alors être embarqués dans cette nouvelle manière d’habiter l’instant.
Dans le mouvement en train de se faire, l’instant passé est transformé en instant à venir, ou pour reprendre les mots de Pierre Droulers : « Le passé, c’est du futur. » Passés et présents finissent par se fondre l’un dans l’autre dans un perpétuel devenir-autre. Activer et réactiver, travailler avec la superposition des époques et la mémoire des corps. En nous donnant à vivre ces ritournelles d’expérimentations, Occupations semble ainsi danser avec la question du temps et autour de la notion d’espace , pour l’interroger et la mettre, elle-aussi, en mouvement. L’espace mis à l’épreuve apparaît comme fait par une multiplicité de couches : c’est une zone géographique ou un corps qui, de par ses gestes, en convoque un autre qui l’a précédé. C’est aussi un périmètre autour du ou des corps, construit par eux ou leur préexistant, c’est une distance, un lieu ou un intervalle de temps. L’espace devient quelque chose que l’on construit, que l’on habite, que l’on occupe ‒ de manière toujours singulière.
Le processus de construction à l'œuvre suppose d’intégrer la multiplicité des temps impliqués par celui-ci, de composer avec les corps et leurs gestes, les corps et leurs forces, les corps et leurs manières de circuler, d’entrer en relation avec le mouvement. Occupations , c’est ce qui a lieu, ce qui arrive, c’est quelque chose, quelque part. C’est quelques corps, dont la fluidité et la force structurent de l’intérieur l’envers des mouvements possiblement réalisables dans et à travers la vibration sensible de l’expérience. C’est se souvenir avec le corps, ici.