Au gré de dix tableaux délirants, Mauro Paccagnella et Alessandro Bernardeschi créent un réseau entre un processus créatif, une plongée dans leur mémoire commune, un public, une comédie et surtout une danse, retraçant ensemble près de vingt ans de complicité.
Dès les premières minutes du spectacle, le quatrième mur est franchi, comme brisé. Les deux danseurs nous expliquent le parcours de leur spectacle, déjà vu en France, en Italie, et même en Chine. Ils soulignent la longue et féconde amitié qui les unit, puis mettent en scène une interview où, à tour de rôle, ils caricaturent le masque du journaliste obséquieux – certains diront bobo – et celui de l’artiste verbeux prompt à enfler lui-même le sens de son œuvre. Point de cynisme ici, mais un ton jovial, clownesque, bon enfant. L’interview sert plus ou moins de fil rouge entre des chorégraphies travaillées, au décor à la fois usuel et minimaliste, coloré et hilarant.
Chaque tableau est baptisé juste avant de prendre corps, comme si cette happy hour se créait devant le public et les danseurs eux-mêmes. Tout est mis en place pour entretenir une dynamique et bousculer la place de chacun. Jusqu’à ce moment emblématique : avouant sans honte une certaine fatigue vers la fin du spectacle, Paccagnella et Bernardeschi quittent la scène et vont se chercher une bière. Ils s’excusent de leur absence et prennent une pause en enjoignant le public à danser à leur place, dispensant conseils et exhortations à laisser le corps s’exprimer et la spontanéité revenir en force. Point de hiérarchie, la mise à nu est collective.
Les chorégraphies jouent du thème de chaque tableau ; les danseurs incarnent tantôt des hippies déchainés usant de tables comme autant de tambours psychédéliques, lunettes seventies au nez et perruques de chevelus blond platine au front, tantôt un couple de militaires en slips casqués d’un collant, occupés à parader ensemble.
Il n’y a pas à proprement parler de cri politique, ni de revendication nette, si ce n’est une tension permanente qui rit des luttes caricaturales, pour mieux les interroger et les mettre à distance. Mais ce processus est toujours mis en scène en vis-à-vis de la mémoire personnelle des deux danseurs. Les danses semblent à la fois célébrer le lien d’amitié sans négliger les rapports de force qui en font partie intégrante, passant de la domination au soutien, du bonheur à la mélancolie. En ressort une critique sociale fine du rapport aux autres, à la fiction, au réel.
Une heure de bonheur pour se rappeler et célébrer le lien à l’autre, de façon à la fois poétique, enthousiaste et concrète.