critique &
création culturelle

Alfred Hitchcock

Précurseur du paranormal

À l’occasion de la rétrospective sur Alfred Hitchcock organisée par la Cinematek de Bruxelles du 1er décembre dernier au 26 février prochain, revenons sur un aspect de l'œuvre du maître du suspense dont on ne parle pas assez : le paranormal. Son attrait pour ce qui relève presque du spiritisme se traduit à travers plusieurs de ses films dont Psychose, Vertigo et Complot de famille. À l’heure d’un retour des tendances New Age sur les réseaux sociaux, la spiritualité et tout ce qui s’y rapporte n’a en réalité jamais été très loin, comme le démontrent ces œuvres hitchcockiennes.

Depuis la crise sanitaire du Covid, les vidéos abordant la spiritualité, les pratiques chamaniques ou la sorcellerie abondent sur les réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram. Techniques de manifestation, loi de l’attraction, tirage de tarot ou d’oracle… autant de pratiques qui attirent un public grandissant. Bien que ces sujets trouvent un nouvel auditoire depuis quelques années, la question de l’ésotérisme, de la spiritualité et, par extension du paranormal, a toujours fasciné.

Les films d’horreur en sont d’ailleurs un excellent exemple. Avec des films aux budgets de plusieurs millions de dollars, la saga The Conjuring ou Annabelle disent se baser sur des faits réels et jouent clairement la carte du paranormal. D’autres films cultes comme L’Exorciste de William Friedkin, Le Projet Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez ou encore Hérédité d’Ari Aster viennent ancrer un peu plus les activités paranormales dans l’imaginaire collectif et particulièrement dans la catégorie des films d’horreur.

Horreur et paranormal ont donc toujours très bien fonctionné ensemble. Il est évident que la peur de l’inconnu, de l’invisible, d’un autre monde en contact avec le nôtre et qu’on ne contrôle pas, est relativement ancrée dans notre société. Comment ne pas redouter quelque chose qui pourrait exister mais qu’on ne peut ni voir ni sentir ? Comment ne pas craindre quelque chose que la raison ne peut expliquer ? Quand on parle de films d’horreur, on pense évidemment aux derniers en vogue, aux films cultes et globalement à ceux sortis ces dernières années. C’est oublier un peu vite Alfred Hitchcock, l’un des pionniers du genre.

Alfred Hitchcock et Janet Leigh sur le tournage de Psychose, Copyright Park Circus France

Les œuvres du réalisateur britannique sont synonymes de suspense, d’histoires de meurtres et la peur est considérée comme un élément central du scénario. Sa caméra est utilisée en tant que personnage à part entière, menant le spectateur exactement là où le réalisateur souhaite l’emmener. Cette caméra-actrice prend tout son sens notamment dans des scènes comme celle de l’auberge dans Psychose, dans laquelle Marion est confrontée à son vol d’argent dans un champ/contre-champ mettant en exergue son dilemme moral intérieur. Ou encore l’effet de caméra, appelé effet vertigo du nom du film éponyme, qui vient souligner l’angoisse du personnage de Johnny face à la hauteur du clocher de l’église.

Mais le thème du paranormal vient également prendre tout son sens dans plusieurs films d’Alfred Hitchcock. Dans Psychose (1960), évidemment, sa place est centrale et le mystère du personnage de Norman Bates et de sa relation à sa mère repose sur une question paranormale : comment la mère de Norman Bates a-t-elle pu être vue à la fenêtre de la maison alors qu’elle est décédée depuis plusieurs années ? Du côté de Complot de famille (1976), c’est même un thème inhérent au scénario, celui-ci mettant en scène deux couples d’escrocs dont l’une des femmes est médium. Même intérêt enfin dans Sueurs froides (plus connu sous son nom original, Vertigo, 1958), où le personnage de Madeleine est possédé par le fantôme de Carlotta.

Hitchcock instille le doute chez le spectateur : sont-ce vraiment des évènements relevant du paranormal ou y a-t-il une raison logique à tout ceci ? Et ce dans les deux sens. Dans Vertigo tout porte à croire que Madeleine est bien hantée par le fantôme de Carlotta. On se demande donc s’il y a réellement une explication tangible derrière cette hantise, là où dans Complot de famille on découvre très rapidement que la médium n’en est pas une et ne détient aucun pouvoir de divination ou de contact avec les esprits. Pourtant, on commence à avoir des doutes à la fin du film, se demandant si finalement tout cela n’était pas un leurre, Blanche ne serait-elle finalement pas dotée de certains dons ? Hitchcock s’amuse avec le spectateur, le faisant voguer entre la certitude du paranormal et celle de la logique.

De manière plus précise, on retrouve la question de la possession dans plusieurs de ses œuvres, bien que toujours sur le fil entre normal et paranormal. Cette hantise d’un personnage par un autre se traduit notamment dans Psychose lorsqu’on découvre que Norman Bates s’incarne dans sa propre mère. Il en vient à changer sa voix, sa façon de parler ainsi que les mouvements de son propre corps, incarnation qu’on retrouve également dans Vertigo, dans la scène du village espagnol. Madeleine y parle avec Johnny, jusqu’à ce qu’elle change de manière d’être et de façon de parler, le fantôme de Carlotta prenant le devant de la scène. On peut retrouver cette idée dans le personnage de Blanche de Complots de famille, régulièrement soi-disant habitée par l’esprit d’Henry, sorte d’ami de l’au-delà qui lui transmet des informations lors de ses séances de spiritisme. Cette idée de perdre son identité et le contrôle de son propre corps au profit d’une entité est un ressort puissant d’angoisse pour le spectateur.

En pavant ainsi le scénario de certains de ses films avec la possible présence d’entités plus ou moins malveillantes, Alfred Hitchcock a ouvert la voie à nombre de films d’horreur traitant du sujet. Si le genre de l’horreur ressemble à ce qu’il est aujourd’hui, c’est en partie grâce à l’ingéniosité du réalisateur britannique, tant dans sa mise en pratique, notamment avec l’invention du slasher (mise en scène d’un meurtre par un tueur psychopathe) avec Psychose, que dans les sujets traités dans ses œuvres. La rétrospective de la Cinematek se présente alors comme l’occasion rêvée de revenir aux prémices du genre, de se laisser frissonner aux côtés d’un des plus grands réalisateurs qu’Hollywood ait connu, afin d’encore mieux apprécier les œuvres que nous offrent les réalisateurs et réalisatrices actuels.

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