How To Have Sex de Molly Manning Walker
Une histoire de consentement
Lors de la 76e édition du Festival de Cannes, How To Have Sex, le premier long-métrage de Molly Manning Walker a fait parler de lui. La réalisatrice britannique y met en scène un voyage entre copines où la fête va se transformer en cauchemar pour l'une d'elles. How to Have Sex parle d’agressions sexuelles, sans les romancer. Un sujet sociétal important et encore, il y a peu, tabou.
C’est le voyage de leur vie ! Tara et ses deux copines, Em et Skye, arrivent, excitées comme des puces, dans leur logement de vacances. Au programme : boire un maximum et avoir des rapports sexuels. Pour Tara, c’est surtout le moment de perdre sa virginité. Plus qu’une envie, on sent que l’adolescente se sent surtout forcée de devoir le faire. C’est toujours le cas quand elle est emmenée sur une plage par un festivalier et vit sa première fois, sans y consentir. How To Have Sex met en lumière le consentement et la facilité pour certains de ne pas le respecter.
Il y a encore quelques années, parler d’agressions sexuelles se faisait moins, et avec moins de conséquences. Aujourd’hui, les langues se délient, les victimes se libèrent du poids d’agressions passées, grâce à des mouvements comme #MeToo (qui a réellement pris son essor en 2017 avec l’affaire Harvey Weinstein aux États-Unis). Si la libération de la parole a bien eu lieu, les violences sexuelles, elles, continuent d’exister, loin d’être prises parfois au sérieux par certains. Pour les femmes, le harcèlement ou l’agression sexuelle sont presque un quotidien.
Le consentement est venu pointer le bout de son nez avec ce mouvement, rappelant qu’il était un fondamental et non pas une mode soudainement lancée par des femmes en quête de pouvoir. Dire non : les femmes ont rappelé qu’elles étaient en droit d’exprimer leur désaccord. Il est fou de penser que nous devons clamer haut et fort ce droit (qui est pourtant primordial) et pourtant, le consentement de certaines (beaucoup) continue à être bafoué.
C’est sur ce sujet que la cinéaste britannique Molly Manning Walker a décidé de faire son premier long-métrage. Mais plus que de consentement, How To Have Sex est un film sociétal capital qui aborde des thématiques bien en place dans nos sociétés, à savoir celles de la pression sociale et de l'effet de groupe.
Fais ce que je te dis et pas ce qui te plait
How To Have Sex nous embarque dans l’aventure festive de trois amies par l’intermédiaire du personnage de Tara. On la présente comme joyeuse et rigolote. Mais on s’aperçoit très vite qu’elle évite un sujet sur lequel ses copines reviennent en boucle : sa virginité. Tara n’exprime jamais son envie de faire l’amour. Il s’agit plus pour elle de se débarrasser de ce poids, d’être comme les autres. Nous sommes tous passés par ce stade de l’adolescence où la pression sociale s’installe et force certains à avoir leur première relation sexuelle, même si la volonté n’est pas entièrement là. Dans le film, Tara est confrontée à cela. Ce n’est d’ailleurs pas la seule forme de pression subie pendant ces vacances. Que ce soit pour elle mais aussi pour ses amies et les festivaliers de manière générale, il y a quasiment une obligation de faire la fête jusqu’au petit matin et se forcer à enchainer l’après-midi même, malgré l’épuisement. On voit à plusieurs reprises que les adolescentes dormiraient bien quelques heures de plus plutôt que d’aller à la pool party de l’hôtel. La fatigue se ressent mais aucune ne l’exprime jamais. Plutôt que d’écouter leurs envies, elles s’obligent à suivre celles qui sont communément mises en avant par leurs compagnons de fête.
On aperçoit une différence entre le comportement de Tara au début des vacances (la jeune fille s’amuse dans la mer ou dans un bar) et son enthousiasme de façade lorsque se mêlent à leurs aventures nocturnes des garçons et donc la possibilité de remplir cette quête qui lui est attribuée. Tara ne dit jamais rien sur sa virginité, elle se laisse porter par les « il faut le faire », « c’est cet été, ça va arriver » de ses amies. Son silence exprime pourtant tout, comme ce sera le cas plus tard dans le film : elle ne dit rien mais son malaise est palpable.
Même lors du passage à l’acte, Tara est forcée de dire oui par un garçon trop entreprenant. Elle est face à un individu qui n’a que faire de ce qu’elle ressent, qui n’attend pas qu’elle exprime ce qu’elle pense et qui est obnubilé par l’exécution de ses désirs. En d’autres mots, elle subit une agression sexuelle. Cette nuit traumatisante est suivie à peine quelques jours plus tard d’un second viol et de répercussions qu’on imagine douloureuses et durables pour elle.
Le silence
En tant que spectateur, on voit l’impact de cette nuit sur elle. Disparue l’adolescente extasiée par les joies de la fête : son sourire se dissipe peu à peu, son envie de faire la fête aussi. Dans l’après et pendant l’agression sexuelle, c’est son silence qui veut tout dire. Il exprime son mal-être dans le premier cas et veut dire non, tout simplement, dans le second. Si Tara ne parvient pas à dégager sa parole, son attitude exprime tout ce qu’elle ne parvient pas à dire.
La jeune fille est tiraillée entre la douleur, la honte et peut-être la peur de gâcher leurs vacances de rêve. Peut-être espère-t-elle que son silence annulera l’événement. Ne pas en parler pour qu’il n’existe plus dans son esprit. En attendant, Tara préfère tout garder en elle.
Bien-sûr, ne rien dire n’aide pas Tara à verbaliser ce qui s’est passé, à réaliser ce qui lui est arrivé. Nous qui avons été avec elle cette nuit-là, nous savons. En tant que confidents passifs, on lit sur son visage son malaise, notamment son embarras, le lendemain des faits, à revoir son agresseur dans leur logement, en train de copiner avec ses amies. Ce malaise, Tara ne l’exprime jamais, elle ne parvient pas à le verbaliser mais physiquement, tout est dit.
Mise en scène de l’intime
Durant tout le film, on est au plus près de Tara et cette impression de proximité, qui engendre beaucoup d’empathie par ailleurs, se met en place également par la mise en scène. Si on nous présente au début trois copines, on se focalise assez vite sur son personnage. Visuellement, cela s’exprime par des plans resserrés sur elle. Ces plans rapprochés traduisent tout l’étouffement qu’elle ressent suite à l’agression et aux sentiments enfouis en elle. La mise en scène raconte tout cela d’une manière réaliste, presque documentaire, qui nous fait oublier que How To Have Sex est une fiction.
Le travail de mise en scène de la réalisatrice, Molly Manning Walker, cette façon de filmer les personnages plutôt que les décors, implique qu’on ne sait jamais vraiment où sont les filles : l’environnement n’importe pas, il s’agit juste d’un voyage entre amies mais les événements pourraient se dérouler tant au Mexique qu’en Grande-Bretagne. How To Have Sex passe par Tara pour raconter une histoire universelle. Elle existe ailleurs, des milliers de fois vécues par des jeunes filles ou des femmes, partout dans le monde. Ce que vit Tara est malheureusement le quotidien de nombreuses autres.
C’est peut-être pour cette raison que cette histoire nous touche en tant que femme, car elle est ou pourrait être la nôtre ou celle de nos copines. Molly Manning Walker nous offre un premier long-métrage fort, juste et franchement nécessaire. À voir absolument.